Un de mes souvenirs les plus forts de mon premier voyage au Japon fut l’apparition de ces oiseaux et leur V reconnaissable, dans le ciel de Kyoto en octobre 2009. Pourquoi les oies sauvages? Parce que durant mes études en art japonais, j’ai eu l’occasion de la croiser souvent cette figure de l’oie sauvage. Elle est très présente, notamment dans la série “Les huit vues de Ômi” (Ōmi hakkei, 近江八景) de Ando Hiroshige.
Il en a réalisées plusieurs, toutes les plus audacieuses les unes que les autres d’un point de vue graphique et de composition. Tout comme les célèbres séries d’estampes “Les cinquante-trois stations du Tôkaidô” du même artiste ou “Les trente-six vues du mont Fuji” de Hokusai, ces images avaient pour but de faire voyager le lecteur ou de le renseigner en cas de déplacement sur les choses à ne pas manquer durant son trajet.
Ainsi les huit vues d’Òmi montrent toujours les huit mêmes vues :
- Temps clair à Awazu (Awazu seiran, 粟津晴嵐)
- Lune d’automne au temple Ishiyama (Ishiyama shūgetsu, 石山秋月)
- Les oies descendant à Katada (Katada rakugan, 堅田落雁)
- Nuit pluvieuse à Karasaki (Karasaki yau, 唐崎夜雨)
- Soleil du matin à Seta (Seta sekishō, 勢田夕照)
- Neige au crépuscule sur le Mont Hira (Hira bosetsu, 比良暮雪)
- Evening Bell at Miidera Temple (Mii banshō, 三井晩鐘)
- Retour au port à Yabase (Yabase kihan, 八橋帰帆)
Le talent et la virtuosité de l’artiste feront le reste.
La force des artistes japonais réside souvent dans leur capacité à reproduire dix fois le même thème avec toujours un point de vue différent, une prouesse graphique ou une audace spatiale qui rend chaque œuvre unique et digne d’intérêt.
La vue qui nous intéresse est évidemment la 3e, “Les oies descendant à Katada”. Katada est une petite ville côtière sur le lac Biwa (le plus grand lac du Japon, au nord de Kyoto) où les oies sauvages ont l’habitude de faire escale en automne.
Voici deux exemples d’œuvres sur ce thème réalisées la même année par Hiroshige :
La différence de qualité s’explique par le type de commande. Si la première œuvre semble moins soignée, c’est qu’elle fait le quart de la taille de celle du dessous et que probablement les moyens de production étaient eux aussi réduits. La première œuvre était probablement un équivalent à la carte postale d’aujourd’hui, une image souvenir qu’on pouvait se procurer à moindre coûts dans les foires, chez les marchands de livres ou sur les lieux de passage. Tandis que la deuxième, plus luxueuse, entre dans la catégorie des nishiki-e (“image de brocard”, 錦絵), c’est à dire des estampes soignées coûteuses, commandées par de riches amateurs.
La règle d’or de ces séries d’estampes étaient de divertir, voire de surprendre. L’idée était que les amateur, selon leurs moyens, se procureraient la série entière si les œuvres sont assez originales. Encore plus lorsqu’il s’agit de commandes privées par de riches marchands. Ils espèrent épater la galerie et surprendre leurs amis lors de réunion entre amateurs éclairés. L’audace et l’originalité sont donc au cœur de la production de ces images.
Des artistes comme Hiroshige ou Hokusai ont su prendre parti de cette situation et il nous pouvons encore aujourd’hui sentir vibrer les lignes et les couleurs de chaque composition.
(C) Le Japon avec Andrea