Haiku décortiqué #1 : Masaoka Shiki

Entends-tu danser les feuilles mortes ?

Le choix du kigo est fondamental pour transmettre à ton lecteur le cadre dans lequel tu souhaites qu’il se balade. Un kigo se doit d’être efficace et certains mots laisseront plus de place à l’évasion imaginaire de ton lecteur.

Aujourd’hui je te propose de te pencher sur les feuilles mortes avec un poème de Masaoka Shiki. Ce kigo est riche et versatile car il évoque à lui seul différentes dimensions sensorielles : auditive, olfactive, visuelle ou encore temporelle.

Au niveau de la forme, qu’est-ce qu’on cherche?

  • 5-7-5 syllabes
  • 1 kigo
  • 1 césure

L’analyse en image :

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5-7-5 syllabes

Ici on a un bel exemple de non-respect du compte des syllabes dans la traduction française. Pourquoi ? Parce que la priorité est mise sur le sens du poème.

Les traducteurs auraient pu ajouter des fioritures pour combler le nombre de syllabes, mais le haiku aurait perdu de sa force. Il est très difficile de traduire un haiku en respectant à la fois sa forme et son sens, sans en faire trop, sans expliquer tout en restant léger…

Littéralement on aurait pu mettre venues d’ailleurs en volant, car tondekuru signifie “venir en volant”.

Est-ce nécessaire ?

La réponse est non.

On cherche la légèreté ! Le travail du lecteur est justement d’imaginer le chemin de ces feuilles venues là. Par association d’idée (une feuille ne rampe pas, ne croule pas, etc.), l’image est claire sans pour autant avoir besoin de mentionner chaque détail au risque d’empâter le poème inutilement.

Le kigo

Ici on pourrait argumenter qu’il y a deux kigo : fin de l’automne (kureru aki) et les feuilles mortes (rakuyô).

Dans ce cas, le kigo principal est fin de l’automne. C’est un kigo assez large, n’est-ce pas? Donc pour préciser sa pensée et évoquer un sentiment plus clair, Shiki pointe ce qu’il veut que l’on regarde, à savoir les feuilles mortes.

La fin de l’automne voit les feuilles ayant pris des couleurs de feu et de flamme (au début de l’automne) sombrer dans les ocres et s’éteindre peu à peu. D’ailleurs, la césure joue son rôle à merveille !

Notons que le verbe kureru est intéressant car il signifie “faire sombre”. Il est par exemple utilisé pour dire “le jour tombe” (hi ga kureru) ou “l’année touche à sa fin” (toshi ga kureru). On a donc clairement cette notion de fin, mais aussi cette notion luminosité qui s’estompe, de jour qui raccourcissent, de saison qui avance vers l’hiver… Le choix des mots est fondamental !

La césure (kireji)

Ici le mot de césure en japonais est ya. Comme la plupart des mots de césure, une traduction directe en français est impossible… mais il vient mettre l’accent sur le mot qu’il précède, ici rakuyô, et lui donne une nuance émotive liée à l’admiration ou l’exclamation. En français, les traducteurs ont choisis de placer ce mot, les feuilles mortes, en première ligne, pour nous signifier son importance.

Notons qu rakuyô signifie littéralement la défoliation ou la chute des feuilles (mortes). On a déjà une dimension en plus que simplement les feuilles mortes. L’accent est mis sur la “vie” de la feuille plus que sur sa mort. Cet aspect est accentué encore par la deuxième ligne : venues d’ailleurs. Le jeu sur l’association incongrue entre les feuilles mortes et l’action de venir, qui implique un mouvement, une vie, donne toute sa force à ce haiku.

On comprends mieux pourquoi cette deuxième allusion à l’automne est en réalité utile : elle donne du mouvement, de la vie à l’ensemble.*

Si on se rappelle encore que Shiki, atteint d’une tuberculeuse osseuse, passera beaucoup de temps alité, avec pour seule distraction la vue sur son jardin, ce haiku revêt encore une autre dimension. La vue des feuilles mortes, dansant dans le vent, devient un véritable spectacle. Leur venue mystérieuse incite le poète à se demander d’où elles viennent avant de simplement se perdre dans la contemplation des couleurs et éventuellement se souvenir que la fin de l’automne est déjà là, annonçant également que la saison morte (l’hiver) n’est pas loin. Tout comme le poète se rappelle sans cesse que sa propre mort n’est probablement pas loin non plus…

Alors…

Qu’est-ce que tu en dis ? Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi en commentaire de cet article.

… … …

* Quand je te donne des conseils sur l’écriture de haiku, je commence toujours par dire “évite les répétitions de kigo”… Ici je vais nuancer un peu.

Comme on l’a vu avec Shiki, si on sait ce qu’on fait et que la répétition de l’évocation de la saison fait sens et donne de la force au poème, alors il n’y a pas de problème! A l’inverse, souvent lorsque l’on débute dans l’écriture de haiku, on a tendance à décrire ce qu’on voit, un sentiment, etc. Dans ce cas là, ajouter plus d’un kigo n’est souvent pas voulu ou maladroit.

Il s’agit donc de faire un pas de plus dans la construction de ton haiku en réfléchissant à la place, au rôle de chaque mot dans ton poème. Est-ce que chaque élément est pertinent? Est-ce que les images évoquées sont claires ? Est-ce qu’il y a peut-être trop d’évocations différentes qui pourraient perdre le lecteur?

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Pour t’aider à toujours mieux comprendre comment fonctionne un haiku pour au final réussir à mettre plus de légèreté et plus d’émotions dans tes poèmes, je lance cette série “Haiku décortiqué”.

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(C) Le Japon avec Andrea, 2022, tous droits réservés.

L’exposition “Un souffle de poésie” c’est la semaine prochaine !

Je suis tellement heureuse de pouvoir ENFIN vous présenter cette exposition ! Vous y découvrirez entre autres :

Haiga – aquarelle
  • des Haiga (haiku illustrés) à l’encre, à l’aquarelle ou au crayon, réalisés lors des différents ateliers créatifs organisés en 2020 et 2021.
  • des Haisha (haiku sur photo), seul ou en collaboration, ces photos vous emmèneront au Japon en un souffle!
  • un Haisha collectif (réalisé en ligne entre 2020 et 2021) autour d’une photographie de Bernard Villat.
Haisha collectif
  • des Sumi-e (peinture au lavis), pour ajouter encore un peu de délicatesse à l’ensemble.
  • des photographies de Bernard Villat prises lors de son voyage au Japon en 2010 et qui pourront vous servir d’inspiration pour vos premiers haiku (livre d’or à disposition).
  • des Haiku gravés sur verre grâce à ma collaboration avec Isabelle van den Berghe, artiste de l’Espace Gaimont. Les jeux de lumières vous raviront !
Sumi-e
  • des Leporellos fais main et peints à la manière de rouleaux maki-e. Entre poèmes et dessins, la ligne est maîtresse.
  • un espace Boutique vous proposera des articles de papeterie:
    • carnets A6 parsemés de poèmes
    • des cartes postales
    • des leporellos vierges
    • des “Hai-cha”(ma dernière création!) c’est-à-dire des sachets de thé agrémentés de haiku du matin, de l’après-midi et du soir pour vivre la magie du haiku au quotidien!
Hai-cha

Rendez-vous le week-end prochain, du 08 au 10 octobre, à l’Espace Gaimont (9 ch. Gaimont, 1213 Petit-Lancy).

Vernissage : vendredi 08 octobre dès 17h.

Exposition : samedi 09 – 11h à 18h et dimanche 10 octobre – 11h à 17h

Finissage lecture & musique : dimanche 10 octobre entre 15h et 16h

Selon les directives officielles, la présentation d’un certificat Covid est nécessaire pour accéder à l’exposition. Merci de votre compréhension.

Dimanche 7 juillet 2019 – 14h15 et 16h30 – Fête des étoiles & Photomatou

Dimanche 07 juillet 2019 – 14h15 et 16h30

Adultes & enfants dès 8 accompagnés

Fondation Baur

20 CHF tarif unique,

gratuit pour l’accompagnant

 

Tanabata, la fête des étoiles & Photomatou

Venez découvrir la légende de Tanabata, ou quand deux étoiles se rejoignent une fois par an, avant de vous faire photographier avec le panneau à chats Photomatou*. Vous pourrez ensuite customiser un joli cadre avec étoiles et bambou!

Adultes et enfants dès 8 ans sont les bienvenus!

*Photomatou: création originale de Diane et Andréa Villat, 2019.

Photos: Tortue-Prod, www.tortue-prod.com

Rendez-vous dès 14h00 au musée, la première visite commence à 14h15, ou dès 16h15 et la deuxième visite commence à 16h30.
Fondation Baur, Musée des Arts d’Extrême-Orient – Rue Munier-Romilly, 8 – 1206 Genève
www.fondationbaur.ch
Prix: 20 CHF tarif unique (gratuit pour l’accompagant).
Inscription obligatoire: desexposenfolie@yahoo.fr – 077 471 40 85