Fête importante au Japon, le Obon est célébré tous les ans autour du 15 août. Selon les régions, la date de la fête change, mais les coutumes restent assez similaires.
En général, les Japonais profite de ces quelques jours fériés pour rentrer dans leur ville ou village natal. En famille, ils se rendent sur les tombes de leurs ancêtres, nettoient les pierres tombales et y déposent des offrandes, le plus souvent des fleurs et de l’encens.
La coutume veut que l’on allume dans son jardin ou devant sa maison une lanterne (mukaebi) afin de guider les esprits des ancêtres jusque leur maison. On fera la même chose à la fin des festivités pour raccompagner les ancêtres sur le chemin de l’au-delà (okuribi). Les lanternes ont une place importante dans tous les festivals japonais, mais ici il y a vraiment la notion d’accompagnement : s’assurer que les esprits arrivent à bon port mais aussi (et surtout) qu’ils retrouvent le chemin pour repartir !
Sur l’autel familial, on prendra soin de déposer des offrandes, souvent de la nourriture, mais aussi des fleurs, de l’encens et même deux petites figurines particulières : un concombre et une aubergine flanqués de cure-dents.
Le concombre représente un cheval que pourront monter les esprits pour venir vite, alors que l’aubergine représente une vache, pour que les esprit repartent lentement afin de faire leur adieux, mais aussi parce qu’ils sont chargés d’offrandes. J’aime beaucoup ces petits aspects très concrets qui viennent donner de la profondeur à chaque rituel, chaque petit geste, répété inlassablement.
Un autre élément qui revient souvent, c’est le physalis. Cette plante, dont le calice laisse apparaitre le fruit rouge-orange au fur et à mesure que le temps passe, fait tellement penser à une lanterne qu’au Japon on l’appelle hoozuki (鬼灯) soit “lanterne-esprit”.
Vient ensuite le temps de la fête ! On sort pour voir défiler danseurs et tambours et on rejoint la foule qui danse dans les rues et les ruelles illuminés dans la nuit par des centaines de lanternes. Comme dit le refrain : “Que tu danses ou non tu es fou, alors autant danser!”. Cette ritournelle invite chacun à se joindre au groupe de danseurs afin de vivre pleinement ce festival joyeux et coloré mêlant recueillement, célébration et divertissement.
Le Obon à Genève en 2024
Cette année j’ai été invitée par le service des pompes funèbres de la Ville de Genève à animer un atelier de confection de lanternes flottantes dans le cadre du festival Obon organisé le 31 août (fig.1). Destiné aux enfants, cet atelier convivial m’a permise de parler des gestes et rituels typique de cette fête populaire, à commencer par le port du yukata (fig.2), mais aussi les différentes offrandes sur l’autel familial, le concombre et l’aubergine (fig.3) et bien sûr, les lanternes (fig.4-6).
Ce moment de créativité joyeuse nous a amené jusqu’à l’étang du cimetière Saint-Georges (fig.7), accompagné par les flûtes et les tambours, étang où nous avons laisser les lanternes voguer au gré de l’eau (fig.8, 9).
Quel beau moment et quelle magie de revenir à la nuit tombée admirer la danse des lanternes dans l’obscurité (fig.10-13).
Fig.1
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La fête a ensuite battu son plein au rythme des danses (Atelier Nihon-Buyô Genève) et des tambours (Rémi Taiko) invités pour l’occasion. Une expérience rare de festival japonais au cœur de Genève!
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Fig. 21
Si tu n’as pas eu l’occasion de participer, j’envisage de faire un atelier lanterne à l’espace Gaimont pour accueillir l’automne. Si tu es intéressé.e n’hésite pas à me faire signe !
Bibliographie
Les ouvrages avec une * sont adaptés aux enfants de 6-8 ans.
IZUMI et LEBLANC Sophie (illustratrices), Bienvenue au Japon*, éditions MILAN, Toulouse, 2009.
C’est l’été. C’est le moment de s’autoriser de longue heures de lecture. Voici mes 3 livres fétiches du moment. Les 2 premiers je te les ai déjà présentés une fois ou l’autre, mais je les aime vraiment beaucoup! Le dernier je l’ai reçu pour mon anniversaire et je l’ai lu d’une traite… sur le transat au bord de la piscine!
Bon plan
Si tu n’as pas envie d’acheter ces livres (ou que tu les as déjà lu…), n’hésite pas à aller faire un tour dans la bibliothèque la plus proche de chez toi, tu y trouveras surement quelques livres japonais à ton goût.
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Interminablement la pluie
Nagai Kafû
Lors, plus que le vent et plus que la lune, et plus que le chant des insectes, il n’est sans doute pour celui qui vit seul rien d’aussi douloureux que la pluie. […]
“Ainsi, quand la pluie frappe les fenêtres. coule le long de l’auvent, dégoutte sur les arbres et lave les bambous, son écho l’emporte, pour émouvoir le cœur des hommes, sur le vent qui crie dans les arbres et sur l’onde qui suffoque dans les précipices. La voix du vent est voix de courroux, la voix de l’onde est de sanglots. Mais la voix de la pluie ne se courrouce ni se lamente; simplement elle se raconte et elle se confie. Depuis mille générations, le cœur humain reste le même, et qui donc, par une nuit solitaire, en écoutant de son oreiller le son de cette voix, ne se sentirait envahir par la mélancolie?[…]” *
…
Un des premiers auteurs japonais que j’ai lu et qui a radicalement influencé mon amour pour le Japon. Un retour sur ce Japon d’Edo à travers le regard d’un passant nostalgique qui peine à accepter le nouvel air de la Restauration de Meiji et qui préfère discuter poésie et solitude.
Viens flâner dans les ruelles avec Kafû et respirer l’air d’un temps révolu, qui n’existe plus que dans les livres…
L’amour, la mort et les vagues
Yasushi Inoue
“Ah, ce coin a l’air parfait!” pensa Sugi en arrêtant son regard sur un endroit, tout à fait à gauche de la grande falaise. Il y avait là des pins au-dessus desquels voletaient quatre ou cinq petits oiseaux de mer dont il ne connaissait pas le nom. Brusquement, ils repliaient leurs ailes et le laissaient tomber en ligne droite une dizaine de fois. Comme ils piquaient en plein sur les rochers, on pouvait croire qu’ils allaient s’y fracasser, mais ils faisaient volte-face, remontaient en décrivant un arc de cercle, puis plongeaient en vrille un peu au large de la bande d’écume.
“Vraiment idéal!” pensa Sugi. C’était la première fois qu’il se réjouissait d’avoir trouvé un endroit convenable pour se donner la mort; soulagé, il se mit à fumer.**
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Juste incroyable! Tout l’art de Yasushi INOUE dans ces trois nouvelles toutes aussi surprenantes les unes que les autres. Trois histoires d’amour un peu étranges, un peu à côté, un peu pas comme on les imagine dans les romans… Tu seras à la fois charmé.e, intrigué.e, et bien sûr surpris.e par la chute de chacune de ces histoires où la vie aura finalement toujours le dernier mot.
La bibliothèque des rêves secrets
Michiko Aoyama
“Sirotant le café qui m’avait été servi, j’ai attrapé un livre en exposition. L’employée était retournée à la caisse. Je me suis dit qu’un moment de détente ici en compagnie des chats me suffisait : je pouvais rentrer chez moi.
Le chat, muni d’un collier orange, qui dormait tout à l’heure sur le coussin, a bondi sans un bruit. Il s’est aussitôt assis, agitant la queue. Nos regards se sont croisés.
“Tu es venu exprès pour savoir ce qui se trouve au-delà du rêve, non?”
L’impression qu’il me parlait m’a bouleversé.”***
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Un livre doux, chaleureux, précieux. Un roman qui donne au livre un pouvoir magique, celui de changer le cours de sa vie. A travers le point de vue de 5 personnes aussi différentes qu’attachantes, nous est offert un tableau vivant de la vie au Japon, entre pression sociale, travail, vie de famille et des choix que chacun doit faire à un moment ou un autre afin de privilégier son bonheur ou sa carrière. Loin d’être lourd ou déprimant, l’accent est plutôt mis sur la surprise qui nous attend tous au détour du chemin, quand soudain un passage inattendu s’ouvre sous nos pieds. Une découverte !
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As-tu déjà lu ces livres? Est-ce que toi aussi tu as des livres japonais fétiches?
Cet été je t’emmène au Japon sans besoin de passeport et surtout en évitant la chaleur étouffante de l’été nippon…
Rendez-vous du 1er au 5 juillet à l’espace Gaimont pour découvrir ou explorer les saveurs de l’été japonais à travers des plats populaires et faciles à réaliser.
Viens explorer les saveurs délicates de la cuisine d’été japonaise !
Découvrez l’art culinaire japonais et laissez-vous transporter par des saveurs uniques sans quitter votre cuisine. “Les Saveurs de l’Été Japonais” est un stage de cuisine exceptionnel qui vous fera voyager à travers des plats traditionnels et rafraîchissants, parfaits pour l’été.
Au menu :
Lundi : Zarusoba et Tofu Soyeux Garni
Découvrez les zarusoba, des nouilles froides au sarrasin servies avec une sauce au sésame maison. Ce plat rafraîchissant est un incontournable des étés japonais, parfait pour combattre la chaleur. En accompagnement, le tofu soyeux garni est une délicatesse légère et savoureuse. Les zarusoba sont souvent consommées lors des festivals d’été au Japon, notamment pendant le Tanabata.
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Mardi : Takoyaki et Daikon Mariné
Apprenez à préparer des takoyaki, ces délicieuses boulettes de pâte garnies de morceaux de poulpe, typiques des stands de rue japonais. Ces petits délices croustillants à l’extérieur et fondants à l’intérieur sont très populaires lors des matsuri, les festivals de rue japonais. Croquant et légèrement sucré, avec une touche acidulée, le takuan (daikon mariné) est un accompagnement traditionnel qui aide à nettoyer le palais entre les bouchées et à faciliter la digestion.
mardimardi
Mercredi : Somen et Crudités
Régalez-vous avec des somen, des nouilles fines froides servies avec une sauce mentsuyu maison. Ce plat léger et rafraîchissant est parfait pour les journées chaudes d’été. Les crudités et la pastèque qui l’accompagnent apportent une touche de fraîcheur supplémentaire. Les somen sont souvent associés au Nagashi Somen, une activité estivale amusante où les nouilles sont servies dans des gouttières de bambou.
mercredimercredi
Jeudi : Onigiri et Accompagnements d’Été
Préparez des onigiri rafraîchissants, ces boulettes de riz garnies et enveloppées d’algue nori. Ils seront accompagnés de délicieux plats d’été comme l’aubergine au miso et les tsukemono de concombre (légumes en saumure). Les onigiri sont des éléments de base des pique-niques et des bento japonais, parfaits pour un repas en extérieur.
jeudijeudi
Vendredi : Tempura de Légumes et Crevette, Glace au Matcha
Terminez la semaine en beauté avec des tempura de légumes et crevette, des beignets légers et croustillants qui sont un véritable régal. En dessert, savourez une glace au sésame maison, une douceur crémeuse et unique qui conclura parfaitement ce voyage culinaire. La tempura, un art délicat de la friture, est une technique appréciée dans toute la cuisine japonaise, souvent servie dans les restaurants spécialisés.
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Détails du stage :
Dates : Du 1er au 5 juillet 2024
Heures : De 18h30 à 20h30
Lieu : Espace Gaimont (9 ch. Gaimont, 1213 Petit-Lancy)
Prix : 230 CHF par personne
Adultes & adolescents dès 14 ans
Pendant ces cinq ateliers, je partagerai avec toi ma passion pour le Japon et mes astuces pour rendre ces plats aussi faciles que délicieux. Chaque session sera une nouvelle aventure culinaire où le plaisir gustatif est garanti.
Si tu as participé au stage 2023, saches que j’ai varié les recettes !
Pourquoi participer ?
Immersion culinaire : Plongez dans l’univers de la cuisine japonaise avec des recettes authentiques et délicieuses.
Convivialité : Partagez un moment agréable et enrichissant avec d’autres passionnés de Japon et de cuisine.
Expertise : Profitez de conseils personnalisés et de techniques de cuisine que vous pourrez facilement reproduire chez vous.
Réserve dès maintenant ta place pour ce voyage culinaire unique et fais de ta table un véritable hommage aux saveurs japonaises de l’été.
Si tu as toujours été curieux.se à propos du japonais, tu es au bon endroit. On va dénouer quelques mystères et te donner envie de te mettre sérieusement au japonais.
Les Syllabaires Kana
1. Les Hiragana : Ces Courbes Amicales
Le syllabaire Hiragana représente les sons de base du japonais. Imaginez-le comme votre premier pas dans le monde linguistique japonais. Ils permettent aussi de transcrire les kanji de manière phonétique et donc de les rendre plus accessibles! Je conseille toujours d’apprendre les hiragana en premier, pour “entrer” dans la langue, se familiariser à l’écriture et prendre pieds dans ce nouvel univers qu’est le japonais.
2. Les Katakana : Le Syllabaire pour les Mots Étrangers
Le syllabaire Katakana est utilisé principalement pour transcrire les mots étrangers. Ce syllabaire est donc essentiel pour te présenter (nom et prénom) mais aussi dire d’où tu viens et quelle(s) langue(s) tu parles. Il y aussi énormément de mots liés à la nourriture qui sont écris en katakana… ils sont donc vraiment indispensables ! Par contre ils se ressemblent énormément et sont parfois difficiles à apprendre et à retenir.
Enfin, il y a les Kanjis. Ce sont des symboles complexes qui représentent des mots ou des idées. Ce sont littéralement des idéogrammes importés de la langue chinoise mais adaptés à la langue et aux mots japonais existant déjà avant cette importation au 6e siècle. Ils donnent cette touche unique à la langue japonaise et sont vraiment partout, donc là aussi, indispensables ! Ne sois pas intimidé.e, commence petit à petit et bientôt tu auras du plaisir à découvrir, apprendre et utiliser ces signes complexes.
Exemple : 勉強, 大学, 私
En résumé
Il y a bien trois alphabets japonais :
les hiragana
les katakana
les kanji
On utilise tout le temps ces 3 alphabets ensemble pour écrire japonais.
Par exemple : 私は アンドレア です。
watashi (kanji) wa (hiragana) andorea (katakana) desu (hiragana).
Je m’appelle Andrea.
On ne peut donc pas uniquement apprendre les hiragana et se dire que c’est suffisant…
La Structure des Phrases : Comme un Puzzle Merveilleux
1. Sujet, Objet, Verbe
Alors, comment construit-on une phrase en japonais? C’est assez différent du français ou de l’anglais. Au lieu de “Je mange une pomme”, en japonais, ce serait plus comme “Je une pomme mange”. En d’autres termes, le sujet vient en premier, suivi de l’objet, puis du verbe. Cette structure de phrase ressemble à celle de l’allemand.
2. Particules : Les Indicateurs de la Fonction de Chaque Mot dans la Phrase
Les particules en japonais sont un peu comme les indicateurs de direction dans une conversation. Elles t’aident à savoir qui fait quoi à qui quand et par quel moyen. “Wa” pour le sujet, “ga” pour l’objet, et “o” pour le complément d’objet direct. Elles sont vos amis dans ce puzzle linguistique. A l’oral, surtout au début, on a tendance à oublier les particules, mais très vite on se rend compte que sans elles, la phrase n’a aucun sens!
Si tu veux une vue d’ensemble des particules les plus courantes, découvre mon leporello sur les particules en japonais.
3. Politesse en Action
La politesse est au cœur de la langue japonaise. Il existe différentes façons de parler selon la relation avec la personne à qui tu parles. Les verbes qui finissent en “desu” ou en “masu” marquent la politesse, alors que ceux finissant en “ru” ou “ta” sont à la forme neutre (forme familière réservée à un usage au sein d’un groupe familier -> famille, amis, collègues de travail, etc.). Il existe d’autres manières de marquer la politesse, notamment avec le keigo (langue honorifique), mais au départ parler en “desu” et en “masu” est déjà parfaitement poli.
Et maintenant ?
Tu as maintenant quelques clés pour ouvrir la porte magique du japonais. N’oublie pas, la pratique est la clé, alors n’hésite pas à utiliser tes nouvelles connaissances dans des phrases, en écrivant un journal (nikki) ou encore en récitant ces phrase à haute voix et en t’enregistrant.
Tanoshinde ne (amuse-toi bien) !
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Si tu veux venir parler japonais avec moi dans un cadre bienveillant, rejoins les jeudis KAIWA. Ce sont des ateliers de conversation bimensuels pour débutant afin de mettre en pratique tes connaissances et entrainer compréhension et expression orale.
Pour terminer cette série d’article, j’ai choisi deux rônins dont je propose de découvrir les variations de représentation à travers différentes séries d’estampes.
Horibe Yahei Kanamaru (織部矢兵衛金丸)
Il s’agit d’un des personnages les plus âgés de la bande, il a 71 ans. On le reconnait facilement grâce à ses cheveux blanc et à son faciès souvent marqué par des rides profondes. Ici on retrouve l’aspect iconographique fort associé à chaque personnage. Le but étant bien sûr que le public puisse identifier chaque personnage le plus facilement possible.
Ce personnage apparaît notamment dans un passage où il est question de poésie. Les 47 rônins se sont divisés en trois groupes pour ne pas éveiller l’attention et passent la soirée dans trois différentes auberges afin de dissiper tout soupçon sur une éventuelle attaque du palais de Kira. Un des trois groupe prétend organiser une rencontre de haikai (ancêtre du haiku) et pour sauvegarder les apparences, ils composent des poèmes. Voici un extrait de ce passage:
” Dans la sombre nuit,
Tous les oiseaux se taisent.
Ce triste silence finira… Quand?
Au chant de gloire du rossignol.”
.
A côté de moi se trouvait assis Horibe Kanamaru de qui, un mois plus tôt, j’avais fêté la soixante-dixième année. Fils cadet d’un daimyô du Nord, il avait l’extraordinaire vitalité de sa race. C’est à peine, malgré son grand âge, si ses cheveux grisonnaient. Sa force et son agilité semblaient ne jamais devoir diminuer.
Cependant les races du Nord ne sont pas lettrées. Aussi ne fus-je pas étonné de voir Horibe se pencher vers son voisin et de l’entendre demander d’une voix mécontente:
“Que trouvez-vous d’admirable dans ces poèmes? Je ne songe qu’à notre voyage et ne comprends rien.”
Son voisin ne sourit pas : l’ignorance qui désire une explication est respectable. Il est aussi lâche d’abuser de sa science que d’abuser de sa force. Il répondit donc:
“Les sapins vigoureux penchés sous la neige glacée, c’est notre clan ployé sous son infortune. Le soleil qui fondra demain la neige…
– C’est notre victoire, interrompit le vieux guerrier. J’ai compris. L’image est admirable, en effet. Et nous sommes sans doute les oiseaux dans la sombre nuit…
– Je verrais plutôt là une image du peuple qui, dans la nuit noire de l’injustice, attend que s’élève le chant des vengeurs.”
Horibe hocha la tête:
” Les mots et les phrases sont trop subtils. Je comprends seulement les poèmes que l’on trace de son sabre dans la chair de son ennemi. […]”
Extrait tiré de “Les 47 rônins, Le trésors des loyaux samouraïs, SOULIE DE MORANT George, Budo éditions, 2006, p.142.
Voici cinq images, dont quatre du même artiste, pour illustrer la variété et l’originalité de chaque composition. Ces séries sont souvent commandées par des groupes de riches amateurs souhaitant commémorer l’événement ou offrir ces estampes luxueuses en cadeau. Outre les portraits, on peut trouver des extraits de texte, des motifs se référant à l’histoire, des cartouches indiquant le titre de l’œuvre et/ou la scène représentée, des éléments décoratifs.
Quelques points communs à ces cinq œuvres:
Le costume en dents de scie noir et blanc est typique de l’iconographie des 47 rônins. Tu peux ainsi toujours les identifier, même si tu ne connais pas la scène ou que tu ne sais pas lire.
Horibe est un des rares rônins à être représenté les cheveux blancs et la peau très ridée. Chaque rônin a sa particularité qui va permettre son identification rapide (si on connait l’histoire et toutes ses variantes et reprises populaires bien sûr).
Malgré ses rides et son apparente vieillesse, le visage de Horibe est toujours très expressif et renvoie à son caractère valeureux de guerrier intrépide. Son rang et sa valeur se reflètent dans tous les aspects de son être
La variété des scènes: portait statique, portrait rapproché en action, scène au thème et à la composition dramatiques. Autant de variation qui permettent à l’œuvre de s’adapter au goût d’un public évoluant très vite et toujours en quête de sensations fortes.
Utagawa Kuniyoshi, Histoires des vrais loyaux samourai (Seichû gishi den, 誠忠義士傳), Oribe Yahei Kanamaru (織部矢兵衛金丸), 1847-1848.
Ici Horibe est représenté édenté et courbé, ce qui tranche avec les autres portraits de cette série représentant plutôt de vifs guerrier dans le feu de l’action.
Utagawa Kuniyoshi,Oribe Yahei Kanamaru (織部矢兵衛金丸), dans la série “Portraits des fidèles Samurai de la Vraie Loyauté“, (Seichû gishi shôzô, 誠忠義士省像), 1853.
Dans cette œuvre, la position peu naturelle d’Horibe est expliquée par le fait qu’il est en train d’esquiver un coup de lance lancé par un adversaire hors champ. Malgré le détail de son visage ridé, l’accent est mis sur la souplesse de ses mouvement qui laisse deviner quel redoutable guerrier il est encore.
Utagawa Kuniyoshi, Oribe Yahei Kanamaru (織部矢兵衛金丸), dans la série “Vrais Portraits des fidèles Samurai“, (Gishi shinzô, 義士真像), 1853.
Dans une position plus classique des portraits d’hommes célèbres (on retrouve cette pose notamment dans les représentation des Cent poètes, célèbres depuis l’époque Heian (794-1185)). La différence réside dans le détail des traits physiques et dans l’expressivité du visage. Les mots qui me viennent à l’esprit sont digne, déterminé et redoutable. On est loin des portrait codifiés où aucun traits de personnalité ne vient animer le visage.
Utagawa Kuniyoshi, Oribe Yahei Kanamaru (織部矢兵衛金丸) dans la série “Miroir de la vraie loyauté des fidèles serviteurs, portraits individuels”, (Seichû gishin meimei kagami, 誠忠義臣名々鏡), 1857.
Cette série est particulièrement intéressante car elle propose des jeux de composition très poussés. Tout d’abord la disposition générale des élément:
sur la partie supérieur droite, on trouve le cartouche en forme de tsuba (garde décorée d’un sabre) avec le nom de la série.
sur la partie supérieur gauche, on trouve un texte ou un poème donnant le contexte de l’image principale.
dans la partie inférieure est représentée l’issue spectaculaire d’un combat au sabre opposant Horibe et son ennemi. D’un coup de sabre, la tête de l’ennemi vole jusqu’à sortir du cadre, accompagné d’un jet de sang.
Ogata Gekko, Horibe Yahei Kanamaru dans la série Chûshingura,, 1895-1903.
De composition plus épuré, le style de Ogata Gekko est très différent de celui de Kuniyoshi. La force de l’image est véhiculée par le détail des chaque personnages au premier plan alors que le paysage se fond dans une brume opaque laissant à l’œil tout le loisir de s’attarder sur la qualité des étoffes, la justesse des plis et la force des traits. Les coloris tout en douceur viennent donner à l’œuvre cette atmosphère particulière, tranchant avec la tradition de l’art ukiyoe.
2. Sakagaki Genzo Masakata (板垣伝蔵正賢)
Ce rônin est réputé pour être un buveur invétéré peu digne d’être un samouraï. Il s’agit bien sûr d’une ruse pour mieux tromper l’ennemi et passer pour inoffensif alors qu’en réalité c’est un guerrier et un espion redoutable. Il sait tromper le monde et est prêt à affronter le mépris de tous pour sa cause. Voici un extrait :
“Il est peu d’hommes qui n’aient aucun penchant destructeur. Pour les uns, c’est la passion du jeu; pour d’autres, la luxure, le goût du vin ou bien la colère. Les malheureux affligés d’un de ces défauts se laissent généralement ruiner par lui. Bien rares sont les habiles qui savent maîtriser leur vice, ou même l’utiliser pour servir leur cause. Il convient donc de citer ici spécialement celui qui est maintenant et pour jamais l’une des gloires de notre divine nation, l’illustre Akaigaki Masakata […].
Chacun riait donc d’Akaigaki et pensait que le daimyô le gardait par charité. Et lui, dans son dévouement profond, acceptait le mépris dont sa réputation était entachée. Il se soumettait sans un mot aux outrages et aux railleries.
Nul ne savait la vérité. […]
[…] un jour, au retour d’une expédition victorieuse, il jugea que services ne seraient pas requis jusqu’au prochain lever du soleil. Il convia donc quelques amis et se livra sans la moindre retenue à son goût favori [la boisson], si bien que ses convives le quittèrent sans qu’il pût faire un mouvement, alors qu’il aurait dû les accompagner jusqu’au seuil.
A ce moment, un écuyer vint l’inviter à se rendre à l’instant même avec ses armes devant le Premier Conseiller, afin de recevoir des instructions pour une mission immédiate. Akaigaki, fouetté par le sentiment du devoir, fit un effort désespéré et se releva. Il ajusta tant bien que mal son casque et son armure et, titubant, les yeux vagues, se présenta devant son chef. Celui-ci feignit de ne pas remarquer cet état singulier, et lui donna ses ordres. Il s’agissait de monter à cheval sur le champ et d’aller s’assurer des intentions d’un groupe armé dont la présence avait été signalée au delà des collines.
Or un buveur troublé fait rire. Qui songerait à se méfier d’un homme qui ne peut marcher droit, et dont la bouche pâteuse donne à chaque mot, prononcé avec difficulté, u ne prononciation inattendue? Chacun se juge invisible par-delà les fumées de son ivresse. L’on rit, l’on parle devant lui sans songer à se garder.
Il en fut ainsi ce jour-là, Akaigaki, cependant, par un effort héroïque de volonté, maintenait son attention et sa mémoire en éveil. Il regardait, il écoutait. A son retour, il sut répéter exactement chaque mot et chaque geste de ceux qu’il avait visités.”
Extrait tiré de “Les 47 rônins, Le trésors des loyaux samouraïs, SOULIE DE MORANT George, Budo éditions, 2006, p.123-124.
Note : les noms selon les versions écrites ou illustrées peuvent varier. Ici dans les estampe ce personnage s’appelle “Sagagaki” alors que dans la source littérature que j’ai utilisée, il est appelé “Akaigaki”. Il s’agit donc bien du même personnage (sauf erreur de ma part).
Comme pour la figure de Horibe, Akaigaki a aussi un signe distinctif: il est souvent représenté avec une bouteille de saké à la main ou à proximité. C’est l’élément qui permet de l’identifier du premier coup d’œil.
A travers les trois œuvres suivantes, je te propose de découvrir trois ambiances, mais aussi de revenir sur les trois œuvres représentant Horibe de ces trois mêmes série, tu les identifieras sans problème, et de comparer les jeux de composition, les atmosphères et les effets que tu ressens d’une image à l’autre.
Utagawa Kuniyoshi, Sakagaki Genzo Masakata (板垣伝蔵正賢), dans la série “Histoires des vrais loyaux samourai” (Seichû gishi den, 誠忠義士傳), 1847-1848.
Utagawa Kuniyoshi, Sakagaki Genzo Masakata (板垣伝蔵正賢) dans la série “Miroir de la vraie loyauté des fidèles serviteurs, portraits individuels”, (Seichû gishin meimei kagami, 誠忠義臣名々鏡), , 1857.
Ogata Gekko, Sakagaki Genzo Masakata, dans la série Chûshingura,, 1895-1903
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Pour lire l’histoire des 47 rônins dans son intégralité: “Les 47 rônins, Le trésors des loyaux samouraïs, SOULIE DE MORANT George, Budo éditions, 2006.
Pour découvrir les différentes séries d’estampes sur le thème du Chûshingura :
Les légendes et faits historiques: une sources d’inspiration pour les artistes
Maintenant que nous sommes familiers avec le récit palpitant des 47 rônin (où la loyauté, la vengeance, et l’honneur s’entremêlent dans une saga digne d’un blockbuster samouraï) j’ai envie que l’on se penche un peu sur la manière dont les artistes s’en sont emparé. Ressentir l’énergie de cette époque et de ces histoires épiques à travers les yeux des artistes ukiyoe (litt. image du monde flottant) est un voyage qui vaut le détour !
Depuis l’époque Edo et le développement de l’impression d’estampe à grande échelle, la demande d’images est constante. Les artistes se tournent vers les thèmes populaires: récits de champs de batailles des ères précédentes comme le “Dit de Hôgen”, les textes de cour comme le “Dit du Genji” et autres histoires qui, encore récemment, n’étaient partagées que de manière orale par les moines errants. Avec le développement des techniques d’impression, la normalisation de l’éducation et une soif grandissante d’aventures, les genres littéraire explosent et la part belle revient aux yomihon, ces “livres à lire” où le texte prime sur les images. Très vite, le talent d’artistes comme Hokusai, associé à la force des scènes épiques, va venir donner des frissons aux lecteurs les plus téméraires.
La nouveauté avec le Chûshingura? Les faits historiques ne sont pas si lointains.
Les événements relatés ont eut lieu en 1702 seulement ! La réalité des faits, les thèmes abordés sont donc très vifs dans l’esprit du public. Loin des récits de batailles datant du 12e ou du 13e siècle, ici il s’agit d’un thème moderne, remettant au goût du jour les valeurs du bushidô de manière concrète, palpable voire palpitante!
Le détails des scènes et les descriptions de chaque rônin permettent également aux artistes de déployer leur talent et leur style dans des compositions originales.
Les 47 rônin ne sont pas seulement des personnages historiques, ils sont des êtres vivants, animés de passion et de force. Chaque rônin est représenté avec une personnalité distincte, souvent munis de leurs attributs respectifs. Les visages gravés sur le papier semblent refléter les joies et les peines, les triomphes et les défis de leur quête de justice.
Les artistes ukiyoe ne se contentaient pas de capturer les actions des rônin, mais ils ont également figé les émotions qui animaient leurs âmes. Les nuances subtiles dans les expressions, les regards déterminés, les postures majestueuses – chaque détail contribue à créer une connexion émotionnelle tangible entre le spectateur et ces guerriers légendaires.
Prépare-toi à ressentir le souffle du vent dans les feuilles de pin de Sengaku-ji et à entendre les échos des katanas clairsemant l’air dans cette aventure visuelle unique offerte par l’ukiyoe. Bienvenue dans le monde flottant des 47 rônin !
Entre choix esthétiques et iconographiques
Le Chûshingura a été illustré par de nombreux artistes ukiyo-e, mais ici j’ai choisi de me focaliser sur les œuvres de Ando Hiroshige (1797-1858), Utagawa Kuniyoshi (1797-1861), et Ogata Gekko (1859-1920).
Les scènes de bataille sont impressionnantes et l’occasion pour nous de creuser le thème de la représentation des éléments dans l’espace.
Si chez Hiroshige par exemple, les katanas, brillant à la lueur des lanternes, dépeignent l’intensité des combats nocturnes menés par les 47 rônin. Kuniyoshi utilise quant à lui des contrastes plus audacieux entre l’obscurité des ruelles d’Edo et la lumière des lames pour souligner l’héroïsme de ces guerriers déterminés.
L’estampe n’est pas simplement une image figée, mais une séquence narrative. On peut presque sentir le vent sifflant à travers les pinèdes du Sengaku-ji, le lieu de repos final des 47 rônin. L’ukiyoe transmet l’histoire de manière vivante, un véritable kaléidoscope d’émotions et de moments figés dans le temps.
Ce qui est caractéristique, c’est que chaque artiste a su apporter son style unique et sa vision à cette saga légendaire. Chaque série est pensée et exécutée dans le but assumé de surprendre le spectateur et d’aller toujours plus loin dans le représentation des émotions.
Un début d’architecture à l’occidentale
Les scène d’invasion de palais était l’occasion rêvée de se frotter à la perspective occidentale. Au Japon, avant l’arrivée des œuvres occidentales la perspective dite “au point de fuite” n’existait pas. Les artistes utilisaient une perspective intuitive et des codes de représentation iconographique pour représenter les distances et autres éléments dans l’espace.
Pour exemple, une estampe de Hiroshige comparée à une de Kuniyoshi représentant l’attaque du palais de Kira (les deux images sont contemporaines l’une de l’autre).
Ando Hiroshige, Chûshingura, Acte XI, L’attaque de nuit, Partie 2 (夜討二 乱入), 1835-1839.
Utagawa Kuniyoshi, Chûshingura, Acte XI, L’attaque de nuit, estampe, vers 1835.
Si d’un côté Hiroshige garde une approche plus traditionnelle quant à la représentation de l’espace et de l’architecture, Kuniyoshi a choisi une approche plus audacieuse en intégrant des éléments de perspective occidentale dans sa composition. Il s’est également essayé à la représentation “nocturne” en jouant sur une palette variée de gris.
On identifie parfaitement les rônins grâce à leur habit spécifique en dents de scie. Le noir et le blanc se fondent parfaitement dans le paysage de neige tout en ajoutant un effet visuel très fort.
Hiroshige, gardien des traditions
Ando Hiroshige était réputé pour sa capacité à capturer l’atmosphère et l’humeur d’une scène. Dans cette estampe illustrant l’attaque nocturne des 47 rônin, Hiroshige a pris le parti de mettre en valeur la beauté tragique de l’événement. On sent l’effervescence de l’attaque, la violence et la détermination des rônins jusque dans leurs gestes, leurs postures ou encore dans l’expression de leurs visages. Contrairement à l’œuvre de Kuniyoshi où les figures humaines sont disposées de manière presque chirurgicale, chez Hiroshige la masse presque indiscernable de ces guerriers aux habits si caractéristiques vient renforcer cette impression de violence et de résolution. On assiste bien au dénouement de l’histoire.
Ainsi, bien que Hiroshige ne soit pas aussi connu pour expérimenter avec les perspectives occidentales que Kuniyoshi, son génie artistique réside dans sa capacité à créer une composition évocatrice, suscitant une profonde réflexion sur les aspects émotionnels des protagonistes.
Le point de vue de Kuniyoshi
Utagawa Kuniyoshi, connu pour son style ukiyoe tranché, a également été intrigué par les innovations artistiques occidentales, en particulier les techniques liées à la représentation de la perspective. Dans son acte XI de la série “Chûshingura”, dépeignant l’attaque de nuit des 47 rônin, Kuniyoshi fusionne plus ou moins habilement les éléments traditionnels de l’ukiyoe avec des perspectives occidentales plus modernes.
Dans cette œuvre, la profondeur est capturée de manière saisissante bien que la perspective soit peu naturelle. Si les règles de construction de la perspective à l’occidentale sont respectées à la lettre, on sent encore une certaine maladresse dans la gestion des proportions entre bâtiment, personnages et paysage en fond.
Ce qu’il faut retenir, c’est que cette utilisation de la perspective occidentale ici ajoute une dimension nouvelle à l’histoire des 47 rônin. Elle donne vie à la scène d’une manière qui transcende les conventions artistiques de l’époque, témoignant de la capacité de Kuniyoshi à embrasser et à expérimenter avec différentes influences pour raconter une histoire vieille de siècles d’une manière nouvelle et captivante. C’est ainsi que l’ukiyoe, tout en préservant sa tradition, a su absorber et réinterpréter des éléments artistiques du monde occidental, contribuant à la richesse et à la diversité de cet art visuel japonais emblématique.
Ogata Gekko, Chûshingura : Muramatsu Kihei Hidenao, estampe, entre 1895 et 1903
Ogata Gekko, vers la modernité
Explorons plus en détail l’approche artistique d’Ogata Gekko à travers cette œuvre spécifique “Chûshingura : Muramatsu Kihei Hidenao” (image ci-dessus).
Cette estampe, réalisée entre 1895 et 1903, témoigne du talent de Gekko à fusionner la tradition de l’art ukiyoe avec des éléments modernes, tout en capturant l’essence dramatique de la légende des 47 rônin.
A une époque où le Japon traverse une période de modernisation extrême, Gekko a su rester fidèle au genre ukiyoe tout en profitant des nouvelles influences et des innovations occidentales. On le voit très bien ici dans le traitement de la couleurs mais aussi du dessin au trait fin et précis.
La composition de cette estampe est dynamique, mettant en avant Muramatsu Kihei Hidenao de manière imposante au centre de l’image. Les détails minutieux dans son visage expriment la détermination du guerrier, tandis que la position stratégique de son sabre suggère son rôle central dans la scène représentée. Gekko utilise des couleurs subtiles et des contrastes marqués pour attirer l’attention du spectateur et créer une atmosphère intense, tout en préservant cette impression feutrée de scène nocturne.
Ici on remarquera encore la parfaite maîtrise de la perspective et des proportions entre les différents éléments qui composent l’image. Les détails minutieux de l’architecture traditionnelle comme saupoudrée de neige et ceux du pin au premier plan qui vient équilibrer la composition prouvent que Gekko a su marier avec brio l’art ukiyoe et les influences occidentales.
En conclusion
Les œuvres de Ando Hiroshige, Utagawa Kuniyoshi, et Ogata Gekko, chacun maître dans son propre style d’ukiyoe, offrent des perspectives uniques sur la légende emblématique des 47 rônin.
Hiroshige a interprété l’attaque de nuit avec élégance et détermination, privilégiant une représentation emplie de violence, capturant l’atmosphère définitive du dénouement final.
Kuniyoshi, en revanche, a joué sur des contrastes acides conférant à ses scènes nocturnes leur énergie dramatique. Ses perspectives audacieuses et son expressivité marquée a su faire justice aux rônin et à leur quête de vengeance.
Quant à Gekko, il a su fusionner la tradition avec des éléments modernes, adoptant des techniques novatrices pour créer une estampe qui, tout en célébrant l’héritage de l’ukiyoe, témoigne également de la période de transition du Japon vers la modernité.
Ainsi, à travers ces trois maîtres, nous découvrons une diversité remarquable dans la manière dont l’ukiyoe peut interpréter et transmettre une histoire commune. Le style atmosphérique de Hiroshige, l’intensité dramatique de Kuniyoshi et l’innovation de Gekko illustrent la richesse de l’art ukiyoe et sa capacité à évoluer tout en préservant l’essence de la culture japonaise. Chacun de ces artistes a laissé une empreinte distinctive dans l’histoire visuelle des 47 rônin, offrant aux spectateurs une variété d’expériences artistiques à travers leurs chefs-d’œuvre intemporels.
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Dans le prochain et dernier articles consacré au Chûshigura, je te propose l’analyse de deux œuvres afin de clore en force ce voyage au cœur de la légende la plus populaire du Japon.
Toyokuni Utagawa III, Chōjūrō Sawamura V dans le rôle de Ōboshi Yuranosuke, tiré de Kanadehon Chūshingura (仮名手本忠臣蔵) “Le Trésor des vassaux fidèles” (pièce de théâtre de marionnettes), 1849.
Le temple Sengakuji est situé à Tokyo, près de la gare de Shinagawa, où Asano Naganori est enterré aux côtés de ses fidèles serviteurs qui sont morts en accomplissant leur mission de vengeance. Ce lieu attire de nombreux visiteurs qui viennent lui rendre hommage ou simplement en apprendre plus sur cette partie fascinante de l’histoire japonaise.
Aujourd’hui, il y a encore des gens qui font des reconstitutions de ce célèbre événement au temple Sengakuji chaque année le 14 décembre – l’anniversaire de la mort d’Asano Naganori – pour garder vivante la mémoire de ces braves guerriers samouraïs qui ont tant sacrifié pour la loyauté, l’honneur et la vengeance.
Cet événement attirant un public nombreux, il faut essayer de venir tôt pour honorer les stèles en allumant humblement des bâtons d’encens et en envoyant des prières pour le repos de ces âmes guerrières.
Si tu veux aller visiter le Sengakuji
Ce que tu vas y trouver
En visitant ce temple, tu découvriras des stèles commémoratives dédiées aux 47 loyaux sujets ainsi qu’un petit musée regroupant différents artéfacts liés à leur histoire.
L’adresse
〒108-0074 2-11-1 Takanawa, Minato-ku, Tokyo
Les horaires
Ouvert de 7h-18h de mars-septembre et jusqu’à 17h d’octobre à février.
Le musée de 9h-16h30 de mars-septembre et jusqu’à 16h d’octobre à février.
Les tarifs
La visite du temple est gratuite, mais l’entrée du musée est de 500 yen.
Avant de résumer l’intrigue, si tu souhaites lire les aventures des 47 rônins dans leur intégralité je te conseille le livre “Les 47 rônins, le trésor des loyaux samouraïs” de George Soulié de Morant chez Budô Editions (2006).
Tout commence lors d’un incident pendant les préparatifs en vue d’une cérémonie pour un envoyé impérial. A cette occasion, le chef des rites Kira Kôsuke no Suke, un lâche arrivé à son statut grâce à l’argent et non pour ses qualités, insulte le jeune daimyô (seigneur guerrier) Asano Takumi no Kami en insinuant qu’il est incapable d’effectuer les rites nécessaires (alors que c’est faux).
Asano provoque donc Kira en duel et dégaine son sabre.
Kira s’enfuit, tel le lâche qu’il est, et Asano qui le poursuit le blesse.
Sous le régime des Tokugawa, les shogun en place à l’époque Edo, il est formellement interdit de dégainer son sabre dans le palais. La punition infligée aux contrevenants est la mise à mort par éventrement traditionnel, le seppuku.
Asano, bien que jeune et intrépide, se soumet à l’ordre. A sa mort, ses fidèles samouraïs se retrouvent sans maître : ils deviennent des rônin (浪人) ou “homme sur les vagues”.1
浪 ろう (rou) = la vague
人 にん (nin) = la personne
Les rônins sont donc des samouraïs sans attache, dérivant sans but, des vagabonds, l’ombre d’un samouraï. N’ayant ainsi plus rien à perdre, ces 47 rônins sans raison d’être (protéger leur seigneur) n’ont plus qu’une obsession : venger la mort injuste de leur maître.
C’est une expédition difficile. Ça va leur prendre une année entière car ils doivent d’abord simuler l’indifférence face à la mort de leur chef, trouver un plan, mettre toutes les chances de leur côté, tout en endurant les moqueries de tous.
C’est surtout l’occasion de présenter et de venter les prouesses de chacun de ces guerriers aux talents spécifiques grâce à une succession d’épisodes plus ou moins rocambolesques. Nous y reviendrons dans l’article consacré à la représentation de ces rônins.
Ogata Gekko, Chûshingura : Muramatsu Kihei Hidenao, estampe, entre 1895 et 1903
Ils finiront donc par prendre d’assaut le pavillon de Kira par une froide nuit de décembre. Par souci de justice, les rônins offrent à Kira la possibilité de s’éventrer comme un brave, mais celui-ci est lâche jusqu’au bout et se dérobe, forçant les rônins à l’exécuter.
Le shogun n’intervient pas directement, car d’autres daimyô interviennent en leur faveur : ils ont réparé une injustice et ont même laissé à Kira une porte de sortie honorable qu’il a été incapable de saisir.
Les rônins seront tout de même condamnés au seppuku pour avoir porté la main sur un représentant du pouvoir (l’avoir tué et avoir incendié son palais).
Le seppuku est une mort honorable pour un samouraïs. La mort la plus honorable bien sur est celle rencontrée sur le champ de bataille, protégeant son clan et son seigneur, mais à défaut, la mort par rituel seppuku reste un privilège.
Les 47 rônins se rendent donc au temple Sengakuji2, là où repose leur maître. Il lui présente la tête de l’ennemi vaincu puis, après avoir reçu l’ordre de condamnation officielle, s’éventrent.
46 seulement s’éventre, car un des rônins a été désigné pour leur survivre et effectuer les rites funéraires appropriés et raconter leur histoire.
“Ils sont morts, mais leur mémoire ne périra jamais, car tous les cœurs, même les plus vils, ont admiration et respect pour les nobles sentiments qui, seuls, élèvent l’homme au-dessus de la bête.”3
Dans le prochain article, tu découvrira comment cette légende reste vivace et honorée notamment via le temple Sengakuji.
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Notes
SOULIE DE MORANT George, Les 47 rônins, le trésor des loyaux samouraïs, Budo éditions, 2006, p. 26.
Le Sengaku-ji se trouve à Tokyo : 〒108-0074 2-11-1 Takanawa, Minato-ku, Tokyo. Site web officiel (en).
SOULIE DE MORANT George, Les 47 rônins, le trésor des loyaux samouraïs, Budo éditions, 2006, p. 171.
Couverture: Utagawa Hiroshige, Chūshingura (忠臣蔵), Acte XI , épisode 5, Le repli sur le pont Ryōgoku, (Youchi yon, Ryōgoku hikitori), estampe ukiyoe, 1836.
Si à Genève on fête l’Escalade1 le 12 décembre, les Tokyoïtes, eux, célèbrent la loyauté de ses fameux 47 rônins le 14 décembre.2
Le Chūshingura (忠臣蔵) ou la légende des 47 rônins est l’un des épisodes historiques favoris des Japonais. Elle a été reprise et adaptée d’innombrables fois au fil des ans, des pièces traditionnelles japonaises de kabuki aux films hollywoodiens, car même en Occident, cette légende est célèbre.
Aux sources de la légende: le bushidô
Pourquoi est-ce que cette histoire de guerriers déchus marque autant les esprits?
Tout simplement parce que cette histoire, devenue légende, met en avant les valeurs guerrières japonaises dans leur absolue essence et ainsi fait écho à un certain idéal martial.
Le bushidô (武士道, litt. “la voie des guerriers”) est un ensemble de codes de conduite, de principes moraux et de valeurs transmis de génération en génération de manière orale.3 Les principes du bushidô trouvent leurs racines dans les différents courants de pensée qui ont marqué le Japon au fil des siècles: bouddhisme, shintoïsme et confucianisme.
Si le premier enseigne “la soumission tranquille à l’inévitable”, une attitude stoïque face au danger et un certain dédain de la vie4 , le second prône la loyauté envers le souverain, la piété filiale et un certain patriotisme créant ce lien inébranlable entre la nation, les ancêtres et l’empereur5, unifiant tous les hommes à un même idéal. Le confucianisme quant à lui fournit au bushidô ses principes éthiques régissant les rapports entre les guerriers et le reste du monde.6
Si le caractère rude du guerrier et l’importance associée à son rang et son honneur pourraient le rendre susceptible et arrogant, les concepts puisés dans les différents courants de pensée évoqués plus haut permettent de pondérer le caractère du guerrier qui cherchera toujours l’harmonie dans ses actions et dans ses attitudes.7
Les principales qualités recherchées chez un guerrier sont :
la justice
la loyauté
le courage
la maîtrise de soi
la compassion
la piété filiale
la politesse
la sincérité
l’honneur
Plus concrètement, la classe sociale des bushi (武士) s’est définie en fonction du contexte historico social du 12e siècle jusqu’à 1603, début de l’ère Edo, période durant laquelle le pays est déchiré par des guerres civiles successives.
La guerre est le processus naturel de sélection chez les guerriers: les plus forts, les plus valeurs, les plus combattants vivent et ainsi deviennent dignes des honneurs, des privilèges et des hautes responsabilités. A noter que jusqu’au 12e siècle ces privilèges et hautes responsabilités étaient réservés aux hommes de cour. En effet, la première institution féodale est créée au 12e siècle avec l’instauration du premier shogun, Minamoto no Yoritomo. Le shogun est le général détenteur du pouvoir effectif (militaire) par opposition à l’empereur qui conserve le pouvoir religieux.
C’est dans ce contexte que le bushidô comme énonciation des règles de conduite et d’un code moral commun a joué un rôle fondamental.
Il est peut-être intéressant de rappeler que l’idéal absolu du bushi est la paix. Il ne dégainera son sabre qu’en dernier recours, que s’il a épuisé toutes ses ressources de diplomatie, de courtoisie et de bienséance.8
Revenons à nos rônins
Dans le cas du Chûshingura, même s’il s’agit au départ de faits historiques avérés, la légende à très tôt pris le dessus en personnifiant ces valeurs, celles du bushidô, à travers chaque personnage. Idéalisés ou caricaturés, les protagonistes donnent à vivre un idéal guerrier qui résonne dans le cœur des Japonais (et des amoureux du Japon).
Dans cette série d’articles consacrés au Chûshingura, je t’invite à découvrir avec moi les trames de cet événement tragique, mais aussi la richesse iconographique liée à la légende des 47 rônins et ce qu’il reste aujourd’hui, notamment grâce au temple Sengakuji (泉岳寺) à Tokyo. C’est parti!
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Notes
L’Escalade fait référence à l’assaut infructueux du Duc de Savoie Charles-Emanuel 1er (catholique) contre la république protestante de Genève la nuit du 11 au 12 décembre 1602.
Si la date retenue officiellement pour les célébrations est celle du 14e jour du 12e mois de l’an 15 de Gennroku (14 décembre 1702), à l’origine, selon le calendrier lunaire, le dénouement final a eu lieu le 30 janvier 1703. (SOULIE DE MORANT George, Les 47 rônins, le trésor des loyaux samouraïs, Budo éditions, 2006, avis au lecteur.)
NITOBE Inazô, Le bushidô, L’âme du Japon, Budo éditions, p.18.
Ibid, p.23.
Ibid, p.24-25.
Ibid, p.26.
Ibid, p.24.
YAMAMOTO Tsunetomo, Hagakure, Ecrits sur la Voie du samouraï, traduit par NICKELS-GROLIER Josette, Budo éditions, 2005, p.116.
Couverture: Utagawa Hiroshige, Chūshingura (忠臣蔵), Acte XI , épisode 2, Entrée par effraction dans le palais de Kira (Youchi ni, rannyū), estampe ukiyoe, 1836.