Le Livre du mois – novembre 2022

Interminablement la pluie

KAFU Nagai

Lors, plus que le vent et plus que la lune, et plus que le chant des insectes, il n’est sans doute pour celui qui vit seul rien d’aussi douloureux que la pluie. […]

“Ainsi, quand la pluie frappe les fenêtres. coule le long de l’auvent, dégoutte sur les arbres et lave les bambous, son écho l’emporte, pour émouvoir le cœur des hommes, sur le vent qui crie dans les arbres et sur l’onde qui suffoque dans les précipices. La voix du vent est voix de courroux, la voix de l’onde est de sanglots. Mais la voix de la pluie ne se courrouce ni se lamente; simplement elle se raconte et elle se confie. Depuis mille générations, le cœur humain reste le même, et qui donc, par une nuit solitaire, en écoutant de son oreiller le son de cette voix, ne se sentirait envahir par la mélancolie? […]” *

Un des premiers auteurs japonais que j’ai lu et qui a radicalement influencé mon amour pour le Japon. Un retour sur ce Japon d’Edo à travers le regard d’un passant nostalgique qui peine à accepter le nouvel air de la Restauration de Meiji et qui préfère discuter poésie et solitude.

Viens flâner dans les ruelles avec Kafû et respirer l’air d’un temps révolu, qui n’existe plus que dans les livres…

Au plaisir de lire tes commentaires!

………….

* KAFÛ Nagai, “Interminablement la pluie,”, éd. Picquier, Paris, 1994, p.52-53.

Mes 5 outils indispensables pour écrire des haiku n’importe où

Aujourd’hui je t’emmène avec moi sur les chemin de l’écriture poétique.

Dans ton sac tu auras besoin d’une gourde, de couleurs, d’une dose de bonne humeur, mais aussi ces 5 outils indispensables pour faire de cette expérience un moment exceptionnel.

Outil #1 : la nature

Il te suffit d’ouvrir les yeux pour observer la nature sous tous ses angles avec tous tes sens. La nature est une source d’inspiration poétique infinie à qui sait la regarder, spécialement quand on aborde l’écriture de haiku.

Unis ton cœur à ses battement s d’ailes et l’écriture ne sera que plus aisée.

Image (C) AVillat 2022. Novembre au bord du Léman.

Outil #2 : la lecture

Un ou deux livres de référence. Moi j’adore les recueils des éditions Moundarren qui répertorient les haiku des quatre saisons, mais qui présentent aussi différents auteurs avec la version originale des poèmes et leur traduction française.

J’aime aussi les anthologies proposées par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku (éd. La Table ronde) ou encore le “Grand Almanach Poétique Japonais” (5 volumes) d’Alain Kervern aux éditions Folle Avoine. Une merveille.

Bref, accompagne-toi d’auteurs plus ou moins connus qui t’aideront à trouver l’inspiration si besoin.

Assis sur une pierre à lire tes haiku préférés à haute voix dans le silence de la forêt est aussi une expérience à tenter…

Image (C) AVillat 2022.

Outil #3 : un carnet dédié

Un joli carnet dédié à ton écriture de haiku. Rien de pire que de chercher un petit poème perdu entre deux prises de notes ou au dos de la liste de course… Choisi un joli carnet plus ou moins épais selon ta pratique.

Jusqu’à récemment j’utilisais différents carnets au fil de trouvailles inattendues, mais maintenant j’ai créé un format de carnet A5 ou A6 au design spécialement pensé pour l’écriture de haiku. C’est génial et tellement pratique : une page dédiée à la prise de note et une page dédiée au haiku final avec de la place pour un dessin, une fleur séchée ou autre trésor déniché au fil de ce temps pour toi.

Image (C) AVillat 2022

Outil #4 : un répertoire de mots de saison

Le site saijiki en français proposé par Seegan MABESOONE qui regroupe de nombreux kigo classés selon les saison. Ce site te permet de découvrir de jolis mots de saison (couleurs de montagne, la montagne rit, les eaux limpides, etc.) et de t’inspirer quand tu es en panne.

C’est un très bon moyen de commencer quand on ne se sent pas tout à fait dans le coup. Choisis un kigo qui te parle et écris.

Image by Susann Mielke from Pixabay (libre de droits).

Outil #5 : un dictionnaire

N’oublie pas de prendre ton dictionnaire ! Papier ou numérique, les dictionnaires de synonymes ou de scrabble te permettront de trouver le mot juste tout en préservant le nombre de syllabes.

Image (C) AVillat 2022.

Et toi, quels sont tes outils incontournables ?

N’hésite pas à partager en commentaires

Tout savoir sur les mots de césure

Le mot de césure ou kireji (son rôle et son utilisation) reste un point particulièrement ardu de l’écriture de haiku. Simplement parce qu’on le résume souvent à “une pause” ou “une respiration”. Le mot de césure est tellement plus que ça.

Quelques fausses croyances…

La césure n’est pas une pause.

La césure n’est pas une respiration.

La césure n’est pas “un truc” qu’on peut ignorer (parce qu’on sait pas à quoi ça sert…).

… et nouvelles conceptions

La césure est un MOT de césure.  Ça donne déjà du corps à la chose. C’est un mot, il a un rôle, une place dans la phrase et peut être agencé selon les besoins.

Le mot de césure donne une nuance émotionnelle (forte) au poème.

Le mot de césure donne de la profondeur au poème.

Concrètement ça donne quoi ?

Césure en japonaisÉmotionsÉquivalence en français ?
yasurprise, étonnement, admiration
invite le lecteur à la réflexion
(celle qui se rapproche le plus de la fameuse “pause”)
ainsi, peut-être,
ici on jouera sur les associations de mots inhabituels
kanaemphase, admirationquel/quelle
choisi un adjectif au superlatif ou incitant l’emphase
oh ! ah ! (à utiliser avec parcimonie)
keriprise de conscience face à
une scène passée, nostalgie
enfin, voilà, alors, hélas
kaquestionjouer sur l’inversion sujet/verbe,
questionner le lecteur sur sa perception des choses ou de la scène proposée,
mots interrogatifs

Quelques exemples

ya – étonnement

Souvent en fin de ligne 2, laisse un espace et surprend le lecteur avec une chute en ligne 3.

bourgeon d’automne

la vieille dame attend

son dernier éclat

kana – emphase

pluies diluviennes

la montagne en silence

a pris des couleurs

keri – prise de conscience, nostalgie

sur ma joue enfin

plus de sombres regrets mais

le baiser du vent

ka – question

sais-tu l’entendre ?

la voix du chrysanthème

dans le vieux jardin

# Astuce #

Pour t’aider à sentir ces nuances et la variété des possibles que les mots de césure peuvent amener dans tes haiku, trouve une édition bilingue des poèmes de ton auteur japonais préféré et analyse les poèmes. En japonais, quel mot de césure est utilisé? Comment est-ce que le traducteur a choisi de le transcrire? etc. Plus tu te poses de questions et plus tu vas commencer à faire des choix conscients dans ton écriture de haiku.

Des questions ? Rejoins-moi sur les réseaux sociaux pour parler Japon et poésie.

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Haiku décortiqué #1 : Masaoka Shiki

Entends-tu danser les feuilles mortes ?

Le choix du kigo est fondamental pour transmettre à ton lecteur le cadre dans lequel tu souhaites qu’il se balade. Un kigo se doit d’être efficace et certains mots laisseront plus de place à l’évasion imaginaire de ton lecteur.

Aujourd’hui je te propose de te pencher sur les feuilles mortes avec un poème de Masaoka Shiki. Ce kigo est riche et versatile car il évoque à lui seul différentes dimensions sensorielles : auditive, olfactive, visuelle ou encore temporelle.

Au niveau de la forme, qu’est-ce qu’on cherche?

  • 5-7-5 syllabes
  • 1 kigo
  • 1 césure

L’analyse en image :

————————–

5-7-5 syllabes

Ici on a un bel exemple de non-respect du compte des syllabes dans la traduction française. Pourquoi ? Parce que la priorité est mise sur le sens du poème.

Les traducteurs auraient pu ajouter des fioritures pour combler le nombre de syllabes, mais le haiku aurait perdu de sa force. Il est très difficile de traduire un haiku en respectant à la fois sa forme et son sens, sans en faire trop, sans expliquer tout en restant léger…

Littéralement on aurait pu mettre venues d’ailleurs en volant, car tondekuru signifie “venir en volant”.

Est-ce nécessaire ?

La réponse est non.

On cherche la légèreté ! Le travail du lecteur est justement d’imaginer le chemin de ces feuilles venues là. Par association d’idée (une feuille ne rampe pas, ne croule pas, etc.), l’image est claire sans pour autant avoir besoin de mentionner chaque détail au risque d’empâter le poème inutilement.

Le kigo

Ici on pourrait argumenter qu’il y a deux kigo : fin de l’automne (kureru aki) et les feuilles mortes (rakuyô).

Dans ce cas, le kigo principal est fin de l’automne. C’est un kigo assez large, n’est-ce pas? Donc pour préciser sa pensée et évoquer un sentiment plus clair, Shiki pointe ce qu’il veut que l’on regarde, à savoir les feuilles mortes.

La fin de l’automne voit les feuilles ayant pris des couleurs de feu et de flamme (au début de l’automne) sombrer dans les ocres et s’éteindre peu à peu. D’ailleurs, la césure joue son rôle à merveille !

Notons que le verbe kureru est intéressant car il signifie “faire sombre”. Il est par exemple utilisé pour dire “le jour tombe” (hi ga kureru) ou “l’année touche à sa fin” (toshi ga kureru). On a donc clairement cette notion de fin, mais aussi cette notion luminosité qui s’estompe, de jour qui raccourcissent, de saison qui avance vers l’hiver… Le choix des mots est fondamental !

La césure (kireji)

Ici le mot de césure en japonais est ya. Comme la plupart des mots de césure, une traduction directe en français est impossible… mais il vient mettre l’accent sur le mot qu’il précède, ici rakuyô, et lui donne une nuance émotive liée à l’admiration ou l’exclamation. En français, les traducteurs ont choisis de placer ce mot, les feuilles mortes, en première ligne, pour nous signifier son importance.

Notons qu rakuyô signifie littéralement la défoliation ou la chute des feuilles (mortes). On a déjà une dimension en plus que simplement les feuilles mortes. L’accent est mis sur la “vie” de la feuille plus que sur sa mort. Cet aspect est accentué encore par la deuxième ligne : venues d’ailleurs. Le jeu sur l’association incongrue entre les feuilles mortes et l’action de venir, qui implique un mouvement, une vie, donne toute sa force à ce haiku.

On comprends mieux pourquoi cette deuxième allusion à l’automne est en réalité utile : elle donne du mouvement, de la vie à l’ensemble.*

Si on se rappelle encore que Shiki, atteint d’une tuberculeuse osseuse, passera beaucoup de temps alité, avec pour seule distraction la vue sur son jardin, ce haiku revêt encore une autre dimension. La vue des feuilles mortes, dansant dans le vent, devient un véritable spectacle. Leur venue mystérieuse incite le poète à se demander d’où elles viennent avant de simplement se perdre dans la contemplation des couleurs et éventuellement se souvenir que la fin de l’automne est déjà là, annonçant également que la saison morte (l’hiver) n’est pas loin. Tout comme le poète se rappelle sans cesse que sa propre mort n’est probablement pas loin non plus…

Alors…

Qu’est-ce que tu en dis ? Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi en commentaire de cet article.

… … …

* Quand je te donne des conseils sur l’écriture de haiku, je commence toujours par dire “évite les répétitions de kigo”… Ici je vais nuancer un peu.

Comme on l’a vu avec Shiki, si on sait ce qu’on fait et que la répétition de l’évocation de la saison fait sens et donne de la force au poème, alors il n’y a pas de problème! A l’inverse, souvent lorsque l’on débute dans l’écriture de haiku, on a tendance à décrire ce qu’on voit, un sentiment, etc. Dans ce cas là, ajouter plus d’un kigo n’est souvent pas voulu ou maladroit.

Il s’agit donc de faire un pas de plus dans la construction de ton haiku en réfléchissant à la place, au rôle de chaque mot dans ton poème. Est-ce que chaque élément est pertinent? Est-ce que les images évoquées sont claires ? Est-ce qu’il y a peut-être trop d’évocations différentes qui pourraient perdre le lecteur?

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Pour t’aider à toujours mieux comprendre comment fonctionne un haiku pour au final réussir à mettre plus de légèreté et plus d’émotions dans tes poèmes, je lance cette série “Haiku décortiqué”.

Pour plus d’astuce rejoins ma newsletter dédiée au haiku et à la littérature japonaise. Tu peux t’inscrire via le formulaire présent dans le menu d’en-tête.

(C) Le Japon avec Andrea, 2022, tous droits réservés.

Petit point sur… Le Kukai !

Le Kukai de mai 2022 vient de se terminer et j’avais envie de te partager plus en détails ce qu’est un Kukai pour, peut-être, te donner envie de participer au prochain!

句会 ou くかい

Littéralement : ku de haiku et kai la réunion, soit une réunion où on écrit des haiku!

  • En temps normal, les poètes se retrouvent dans un lieu calme et propice à la création, choisissent un thème en lien avec la saison du moment et écrivent des haiku.
  • En fin de rencontre, les haiku sont anonymisés, lus à voix haute à tour de rôle (chaque auteur ne lisant pas ses propres poèmes) et enfin soumis à un vote.
  • Chaque auteur a trois points qu’il peut donner à son gré.
  • Une fois les points attribués et le décompte fait, les noms des auteurs sont révélés et on choisit de créer ou non une anthologie / publication.

Lors de ces réunions poétiques, l’accent est mis sur l’échange et l’oralité du haiku, qui n’est plus simple fait de plume, mais prend à travers la voix qui le porte une aura profonde, pleine d’émotions et parfois surprenante aux oreilles de son auteur.

C’est cette expérience que je souhaite te transmettre à travers mes Kukai virtuel en ligne (gratuit). Malgré le fait que nous soyons éloigné géographiquement, le force poétique du haiku réside dans la nature qui nous entoure et ainsi un thème peut résonner de mille façons.

Pour savoir si un Kukai est en cours ou va bientôt commencer, rendez-vous sur campsite.bio/lejaponavecandrea et cherche “Inscription Kukai”.

Au plaisir de te lire et de partager la passion des mots avec toi !

Participez à l’exposition collective “Un souffle de poésie”

Si vous souhaitez participer à l’Exposition collective “Un souffle de poésie, le haiku dans tous ses états” qui aura lieu du 8 au 10 octobre 2021 à l’Espace Gaimont, voici plusieurs options:

  1. Venez participer aux prochains ateliers d’écriture de haiku (voir les ateliers disponibles via la boutique en ligne).
  2. Participez à un HAISHA collectif (écriture de haiku d’après photo) à partir de la photo ci-dessous.

Les règles du Haisha

  1. Un haisha est un haiku d’après photo. C’est à dire qu’il faut écrire un haiku en vous inspirant d’une photo. Ici, une rue de Kyoto au crépuscule montrant des enseignes de restaurant (C) Bernard Villat.
  2. Un haiku est un poème de 17 syllabes en trois vers de 5-7-5, comportant 1 mot de saison et 1 césure pour un maximum d’émotions avec un minimum de moyen.
  3. Le défi du haisha est de ne pas décrire l’image. Il s’agit de laisser de l’espace pour l’imagination du lecteur entre l’image et vos mots.
  4. L’idéal est également de ne pas être redondant. Par exemple, ici ne pas mettre le mot “enseigne” dans votre poème, l’image en étant déjà saturée, mais en suggérant ce terme qui viendra automatiquement à l’esprit du lecteur en regardant la photo.
  5. Le plus important est l’émotion que vous souhaitez transmettre. Rien n’est faux, l’essentiel est le plaisir d’écrire et ce n’est qu’en écrivant et en se confiant aux autres que l’on progresse dans l’écriture de haiku. Alors n’hésitez plus et participez!

Le haisha est un exercice difficile mais très intéressant et vous permettra de varier les plaisirs lors de l’écriture de haiku!

Cette exposition est organisée dans le cadre de l’Automne de la Culture Japonaise 2021.

Pour participer à l’exposition, envoyez-moi vos poèmes via le formulaire ci-dessous

AVANT LE DIMANCHE 19 SEPTEMBRE 2021 – MINUIT

Chaque poème doit être accompagné du prénom et du lieu d’habitation de son auteur. Vous pouvez proposer 3 haiku par personne. Une sélection de ces poèmes sera intégrée à l’exposition.

Vous participez ?*(obligatoire)

*En nous envoyant vos poèmes (en cochant “oui” à la question “vous participez?”), vous consentez à ce que Des Expos en Folie utilisent ces poèmes en public lors de l’exposition sus-mentionnée et les publie sur son site web et ses réseaux sociaux. Pour tout renseignement merci de nous écrire à desexposenfolie@yahoo.fr

Atelier haiku – Hanami

masaonaru

kumo sukitôru

hatsu-zakura

les nuages si bleus

si clairs –

premières fleurs de cerisier

Shô Hayashi*

Le prochain atelier d’écriture de haiku en plein air c’est le dimanche 21 mars 2021 à 14h30 au parc de l’Ariana. Nous profiterons des sakura pour écrire des poèmes de printemps et passer une belle après-midi ensemble!

Inscription indispensable : desexposenfolie@yahoo.fr – 077 471 40 85

Cet atelier est organisé en respectant les mesures COVID : port du masque obligatoire, désinfection des mains et suivi des données.

*CHIPOT Dominique, KEMMOKU Makoto, La lune et moi, Haïkus d’aujourd’hui, éd. Points, Paris, 2011, p.19.