Un nouveau point de vue, ou comment les insectes peuplent les images à l’époque Edo (2/3)

Si dans le dernier article, je me suis concentrée sur le motif du papillon et de la pivoine, aujourd’hui j’ai envie de te partager l’influence primordiale que l’Occident et surtout ses outils optiques ont eue sur la représentation des insectes dans l’art japonais.

Les insectes comme genre artistique

Hérités de la peinture chinoise, les différents genres en peinture japonaise sont divisés selon les thèmes représentés: les peintures “de fleurs et d’oiseaux” (花鳥絵, kachô-e), les peintures de paysages ou “de montagne et d’eau” (山水画, sansui-e), les peintures “de fleurs et d’arbres” (花木絵, hanaki-e) ou encore, celle qui nous intéresse, les peintures “d’herbes et d’insectes” (葉虫絵, hamushi-e).

La source principale d’inspiration de motifs pour cette catégorie reste, jusqu’au développement des “études hollandaises” que nous aborderons plus loin, le fameux “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde“. Rédigé comme un manuel à l’usage des peintres, il s’agit d’une véritable encyclopédie de peinture chinoise, écrite au début de la dynastie Qing (1644-1912). On y trouve un répertoire de motifs, de techniques de dessin et d’applications des couleurs d’une aide précieuse non seulement si l’on souhaite s’initier à l’art chinois, mais aussi si l’on veut comprendre l’essence des œuvres anciennes.


“Pavot, à l’imitation d’une peinture de Ts’ien Chouen-kiu”
in “Les Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un Grain de Moutarde”
Source : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/KIAI_TSEU_YUAN_illustrations_3.html [consulté le 13.04.2023]

Dans ce genre artistique, ne nous méprenons pas, les insectes servaient surtout de décoration, d’éléments annexes pour “varier la peinture des fleurs”. Dans l’exemple ci-dessus, si le papillon attire notre regard, ce n’est pas le sujet principal de l’œuvre. Il sert à divertir l’œil et éviter la monotonie de scènes inertes et figées par la succession de copies au fil des siècles.


“Premier exemple d’insectes de plantes herbacées à
dessiner pour varier [la peinture des fleurs]. Papillons”
in “Les Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un Grain de Moutarde”
Source : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/petrucci_moutarde.pdf [consulté le 13.04.2023]

Plus qu’une observation scientifique des insectes, il s’agit plutôt d’une représentation essentialiste, presque symbolique. Ces insectes ont donc souvent la même forme et sont représentés selon le même angle par de nombreux artistes différents. Il n’y a pas une réelle compréhension ou recherche de l’anatomie d’un point de vue scientifique, mais plutôt comme une appréciation générale de la forme de l’insecte, dans le respect du canon de représentation hérité de la peinture chinoise.

Les peintres japonais vont vraiment s’attacher à représenter au plus près cette esthétique chinoise et cet idéal de représentation philosophique et harmonieuse de la nature.

Cette approche des insectes et de leur représentation connaît un franc succès auprès d’amateurs éclairés qui aiment se perdre dans l’observation, la collection mais aussi reproduction d’une variété incroyable d’insectes.1 Ces images ont souvent été regroupées dans des annales ou encyclopédies illustrées à caractère plus ou moins “scientifique” et qui vont servir de base pour la composition de travaux artistiques. Les encyclopédies ou les annales illustrées les plus connues encore aujourd’hui ont été dessinées et compilées par des daimyô (seigneurs guerriers de haut rang).

  1. TSUKAMOTO, p. 278.

Des daimyô amoureux de la nature

Traditionnellement l’observation et le recensement des espèces d’insectes étaient le travail de spécialistes des affaires médicales chinoises au sein du gouvernement japonais. On recensait donc les insectes plus pour leurs vertus curatives et pour leur utilisation dans le quotidien que pour leur vraie beauté intrinsèque. Cette pratique a un lien étroit avec le modèle de la médecine chinoise, mais petit à petit les seigneurs y prennent goût et l’observation et la collecte d’insecte vont devenir une réelle occupation de loisir.1 Rappelons également qu’à l’époque Edo le rôle des guerriers évolue. Les guerres de clans n’étant plus qu’un lointain souvenir, les guerriers trouvent de nouvelles occupations dans l’enseignement, la poésie, les arts, etc.

Pourquoi les daimyô? On offrait traditionnellement des insectes à la maison du shogun (chef des armées, dirigeant militaire officiel du Japon à l’époque Edo) pour nourrir les faucons. Le faucon est l’emblème par excellence de la figure guerrière et offrir de quoi nourrir ces rapaces était un devoir important. Dès 1770 le ramassage d’insectes s’intensifie donc et on commence à recenser de nombreuses espèces jusque là peu étudiées.

Le daimyô le plus célèbre parmi ces amateurs de haut rang reste Masuyama Sessai (1754-1819). Son encyclopédie est encore remarquée aujourd’hui, mais il est surtout connu pour avoir fait édifier après sa mort un mausolée afin d’honorer l’âme des insectes sacrifiés lors de ses observations minutieuses. On peut encore le visiter au sein du temple Kan.ei-ji à Tokyo.2

  1. TSUKAMOTO, p. 278.
  2. MARQUET, p. 23.

Le microscope, ce révolutionnaire

Cette approche du monde des insectes va radicalement changer à l’époque Edo, avec l’arrivée des bateaux occidentaux chargés d’objets variés, de livres et de matériel scientifique comme le microscope en vue de commercer avec le Japon. Rappelons ici que le Japon a fermé ses frontières et son commerce aux Occidentaux (avec une exception pour les bateaux néerlandais) dès 1640 et ne les rouvrira qu’en 1853, un peu avant l’avènement de l’ère Meiji. Le commerce privilégié entre la Hollande et le Japon va donner lieu aux “études hollandaises” ou rangaku.1

Il est particulièrement intéressant de réaliser que le Japon n’a de contact avec l’Occident qu’à travers la Hollande pendant plus d’un siècle. Les Japonais vont donc apprendre le néerlandais pour traduire les livres et communiquer avec les marins, fait assez exotique car après l’ouverture des frontières à la fin de l’époque Edo ils réalisent qu’en Occident personne ne parle néerlandais à part les Hollandais!

Anonyme, Microscope, in Kômô Zatsuwa (紅毛雑話), 1787, National Diet Library, Tokyo.

Ce goût pour l’exotisme occidental se traduit par le commerce de petits objets, de verrerie, de livres, de peignes, etc.2 Ce sont surtout les instruments de mesure et de vision comme la loupe, les lunettes ou encore le microscope ainsi que les traités illustrés de zoologie et de botanique qui vont fasciner les Japonais.3 Grâce à ses nouveaux outils optiques les observations d’insectes, qu’elles soient scientifiques ou artistiques, vont se développer de manière phénoménale et l’impact de cette nouvelle façon de voir le monde sur un public avide de nouveautés et d’exotisme venus de cet étranger interdit est important.4 Les artistes sont les premiers concernés par cette nouvelle approche et cette nouvelle représentation de la nature.5

  1. SCREECH, p.6.
  2. Ibid, p.8.
  3. MARQUET, p.23.
  4. SCREECH, p.194.
  5. IMAHASHI, p. 146.
Shiba Kôkan, Mouches et moustiques, in Kômô Zatsuwa (紅毛雑話), 1787, National Diet Library, Tokyo.

Le microscope ainsi que tous les outils optiques (les lunettes, la loupe, la longue vue, etc.) vont ouvrir des perspectives qui vont permettre une observation beaucoup plus minutieuse et plus scientifique de chaque insecte.

Petite anecdote révélatrice, la loupe en japonais se dit 虫眼鏡 (mushi megane) soit “lunettes/verre à insectes”.

Dans mon prochain article, je te présenterais une œuvre de Utamaro tirée de son album “Insectes choisis” (絵本虫選, Ehon mushi erami) publié en 1788. De quoi parler fleurs, de papillons et poésie burlesque en prenant le café.

Bibliographie

  • IMAHASHI Riko, Edo no dôbutsuga – kinsei bijutsu to bunka no kôkogaku 江戸の動物画、近世美術と文化の考古学 (“Les images d’animaux à l’époque d’Edo – archéologie de l’art et de la littérature moderne”), Tôkyô Daigaku Shuppankai 東京大学出版会, Tôkyô, 2004, 344 pp.
  • MARQUET Christophe (textes et poèmes traduits et présentés par), Kitagawa Utamaro, insectes choisis – Myriades d’oiseaux, éditions Philippe Picquier, Arles, 2012.
  • SCREECH Timon, The Lens Within the Heart: The Western Scientific Gaze and Popular Imagery in Later Edo Japan, University of Hawaii Press, 2002.
  • TSUKAMOTO Manabu, Edo jidai jin to dôbutsu 江戸時代人と動物 (“Les Hommes d’Edo et les animaux”), Nihon edita sukuru shuppanbu 日本エデイタースクール出版部, Tôkyô, 1995, 328 pp.
  • “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde” (version numérique) : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/petrucci_moutarde.pdf [consulté le 13.04.2023]

Papillon et pivoine, où comment les insectes peuplent les images à l’époque Edo (1/3).

Les insectes font l’objet d’une catégorie spéciale dans l’art chinois et japonais, celle des kusamushi-e (草虫絵) ou “Herbes et insectes”.

Depuis aussi loin qu’on se souvienne, les insectes ont sans cesse été observés, recensés, collectionnés puis peints ou gravés. Tout comme dans la catégorie des kachô-e (花鳥絵) “Fleurs et oiseaux”, où chaque espèces d’oiseaux est associée à une fleurs, ici, chaque insecte est associé à une herbe ou plante.

Comme le printemps s’en vient, aujourd’hui je te parle de papillon.

papillon chô

Le papillon est souvent associé à la pivoine, car tous deux représentent la longévité :

La pivoine pour son nom chinois meoutan qui comporte le mot tan (cinabre), drogue d’immortalité qui l’associe au phénix1. Le papillon pour le jeu de mot avec le terme “septuagénaire”, tout deux se disant t’ie.2 Par association, ces deux motifs ensemble sont devenu le symbole porte-bonheur de longévité.

Au Japon, la papillon est aussi un esprit voyageur qui peut annoncer une visite ou la mort d’un proche. Par extension, la rencontre avec un papillon blanc est perçu dans la croyance populaire comme la visite de l’âme d’un défunt.

Les représentations du thème des “herbes et insectes” sont ainsi des images véhiculant des messages symboliques et font le délice des amateurs lettrés qui sauront les déchiffrer.

Dans ce contexte, les estampes nishiki-e (錦絵, litt. “image de brocard”) étaient des supports privilégiés. Ce sont effectivement des œuvres luxueuses destinées à un public de riches amateurs, mettant en avant les prouesses de composition des artistes mais aussi le talent des imprimeurs tout en jouant sur les effets de mode.

  1. CHEVALIER Jean, GHEERBRANT Alain, Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont et éd. Jupiter, Paris, 1982, p.762.
  2. Ibid, p.728.
Utagawa Hiroshige, Papillon et pivoines, estampe nishiki-e, encre sur papier, format chûban vertical, époque Edo, MFA Boston.)

Ici un magnifique exemple de Hiroshige dans un format vertical. Les pivoines délicatement colorées répondent à un papillon plutôt terne qui permet ainsi de ne pas saturer l’image. La composition simple et efficace de cette estampe ravi le spectateur qui se sent transporté en Chine.

La touche chinoise est encore accentuée par l’inscription en haut à gauche, imprimé dans une police particulière.


牡丹花福貴者也

Botange fukisha nari

“bénédiction de la fleur de pivoine” *

Répondant à la signature en bas à droite, ces deux inscriptions encadrent l’image harmonieusement et créent un jeu visuel délicat.

*traduction non vérifiée… je ne parle pas chinois ( ^-^ ).

Voici un deuxième exemple où on retrouve cette association du papillon et de la pivoine. Il s’agit cette fois d’une œuvre de Katsushika Hokusai.

Katsushika Hokusai, Papillon et pivoine, estampe nishiki-e, entre 1830 et 1850.

Ici les pivoines sont plus présentes, comme si Hokusai nous invitait à découvrir son jardin. Le spectateur peut imaginer plonger sa main dans le buisson et sentir le parfum envoutant des pivoines. Chez Hiroshige il s’agissait plus d’une image voulue synthétique, représentative d’un message symbolique. Ici les symboles sont tout aussi présents, mais donne l’illusion d’une plus grande intimité entre image et spectateur.

J’aime bien aussi le traitement du papillon qui nous montre un point de vue particulier puisque l’artiste a choisi de nous montrer les ailes vues de dessus, selon un angle peu évident.

Je termine avec un poème de Bashô :

物好や匂わぬ草にとまる蝶

monozuki ya niowanu kusu ni tomaru chô

.

un papillon se pose

sur une herbe sans odeur

curiosité

.

Dans mon prochain article j’aborderai l’influence occidentale dans la perception et la représentation des insectes dans les œuvres de l’époque Edo.

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Lors de ma boutique popup “Un air de printemps”, les papillons seront aussi à l’honneur. Ne manque pas ces prochaines dates d’ouverture : 17 au 23 avril 2023. Ça se passera dans l’onglet “boutique”.

Je suis bien impatiente de te faire découvrir mes nouveaux motifs printaniers et mes produits spécialisés autour du haiku et du japonais!

Le lapin dans l’art japonais : le Chôjû giga (鳥獣戯画)

Quand je pense au lapin dans l’art japonais, le premier exemple qui me vient en tête c’est celui des fameux rouleaux peints du Chôjû jinbutsu giga (鳥獣人物戯画, lit. « Caricatures d’oiseaux et animaux humains ») ou Chōjū-giga (鳥獣戯画, lit. « Caricatures d’animaux »).

Il s’agit d’un ensemble de quatre rouleau peint ou emaki (絵巻), réalisé pour le temple Kôzan-ji à Kyôto au 12e siècle, aujourd’hui conservés dans les musées nationaux de Tokyo(pour les deux premiers rouleaux) et de Kyoto (pour les deux derniers rouleaux). Déclarée trésor national en 1952, cette œuvre marque un tournant dans la représentation d’animaux dans l’art japonais.

Chōjū-giga (鳥獣戯画), rouleau 1, détail, animaux à la poursuite d’un voleur.

Caractéristiques

  • 4 rouleaux peint emaki
  • le premier mesure 30 cm de haut x 11 m de long
  • succession d’images (sans texte) monochromes à l’encre de Chine
  • style otoko-e (un des mouvements du yamato-e), caractérisé par un travail au trait libre et dynamique à l’encre de Chine.

Description

Le premier de ces rouleaux peints met en scène de nombreux animaux, mais principalement des singes, des lapins et des grenouilles, dans des situations de la vie humaines. Tous sont humanisés soit par le port d’habits, soit par le fait de marcher sur deux pattes, soit encore avec l’aide d’expressions faciales typiquement humaines. Telles de véritables caricatures de moines bouddhistes de la fin de l’époque Heian, on les voit faire leurs ablutions, organiser des cérémonies, mais aussi se battre à grands coups de bâtons ou de flèches.

Chōjū-giga (鳥獣戯画), rouleau 1, détail, animaux à leurs ablutions.

Le second rouleau représente des animaux réels ou légendaires.

Le troisième rouleau dépeint des jeux de moines et de laïcs ainsi que des animaux humanisés.

Le quatrième rouleau montre des personnages (religieux et laïcs) très caricaturés dans des scènes de jeux, de cérémonies bouddhiques, etc.

A noter que le style, la composition et jusqu’au sujet des rouleaux ne proposent pas une unité caractéristique. Cette succession d’images et de scènes n’était probablement pas conçue à l’origine comme un ensemble uni et homogène.

Et le lapin dans tout ça ?

Le lapin est l’un des animaux qui reviennent le plus souvent dans le Chōjū-giga (鳥獣戯画). Comme vu dans l’article précédent (Le lapin au Japon, entre zodiaque et folklore), le lapin possède une symbolique ambivalente et il est bien connu dans les contes pour son côté farceur.

Étant donné qu’on ne sait pas quelles intentions avaient les auteurs de ces rouleaux (critiques ouvertes des mœurs monastiques de l’époque? jeux libres sur la représentation anthropomorphique d’animaux familiers?) il est difficile d’interpréter chaque scène. Par contre il semble évident que le lapin revêt ici sa parure cocasse et farceuse : de tous les visages, ceux des lapins sont de loin les plus expressifs de ces rouleaux.

Chōjū-giga (鳥獣戯画), rouleau 1, détail.
Chōjū-giga (鳥獣戯画), rouleau 1, détail.
Chōjū-giga (鳥獣戯画), rouleau 1, détail.

Si les grenouilles ont des expressions plutôt figées semblables à leurs caractéristiques physiques, les singes sont plus expressifs, mais les lapins proposent une gamme d’émotions subtiles et variées qui nous questionnent véritablement sur notre rapport à l’animal et à la nature.

Chōjū-giga (鳥獣戯画), rouleau 1, détails.

Comment lire un emaki ?

Comme toute œuvre japonaise, le sens de lecture va de droite à gauche. Le rouleau fermé par une cordelette présente le titre de l’œuvre dans un cartouche au verso. Pour lire un emaki, on se place sur une table et on déroule l’œuvre par portion. Un rouleau par définition pouvant rouler, on fera attention de placer un objet de part et d’autres de la table, ou préférer de se placer directement au sol, sur des tatamis. A la différence d’un livre où les pages sont clairement définies et fixes, on peut choisir quelle portion du rouleau on souhaite voir.

Il existe trois sortes de emaki : ceux qui présentent une alternance d’images et de texte, ceux où il n’y a que des images et ceux où il y a un texte en début et/ou en fin de rouleau.

La grande différence entre le emaki et le livre, est que le premier est toujours réalisé à la main alors que le second va connaître un essor rapide grâce à la mécanisation de sa production. Dès l’époque Edo (1603-1868) et le développement de l’imprimerie, on assiste à un véritable boom de la production de livre au détriment de l’art du emaki, par définition plus minutieux et donc plus cher.

Attribution & interprétation

Traditionnellement attribués au moine Toba Sôjô (1053-1140), on pense aujourd’hui qu’une succession d’artistes ont en réalité contribué à l’élaboration de cette œuvre. De la même manière, et comme déjà abordé plus haut, il est difficile de proposer une interprétation satisfaisante de ces rouleaux tant leur contenu est surprenant.

Certains ont vu dans le Chôjû giga le premier manga et l’origine de l’animation japonaise. Sans entrer dans les détails, je dirais qu’il est intéressant de voir cette œuvre dans son contexte et de l’admirer pour elle-même avant tout. Ce qui est certain, c’est l’effet que ces traits fluides et dynamiques provoquent en nous. C’est la joie que ces animaux personnifiés nous procurent grâce à ces scénettes de jeux et de farces. C’est également l’influence que ces images ont encore aujourd’hui vu qu’on les retrouve toujours dans l’espace publique (publicités), papeterie, vaisselle et autres objets du quotidien.

Et toi, tu as déjà vu les fameux lapins du Chôjû giga quelque part? Dis-moi tout en commentaire.

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Du 06 au 12 février 2023 j’ouvre également une boutique en ligne avec des produits de papeterie et d’illustration sur le thème “Le lapin dans la lune”. Viens y faire un tour!

Le motif du lapin au Japon t’intéresse? Ne manque mon autre article sur le sujet: Le lapin au Japon, entre zodiaque et folklore.

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Sources

Murmures de dragon sous le mont Fuji

Avec cet article je renoue avec ma passion première, celle de l’art japonais.

Quoi de mieux que de se faire plaisir avec un artiste comme Hokusai…

… et une figure aussi belle qu’incontournable qu’est celle du mont Fuji ?

Donc aujourd’hui je te présente une œuvre qui figure dans mon palmarès ultime, le ehon* “Cent vues du mont Fuji” (3 volumes) de Katsushika Hokusai (1760-1849) publié entre 1834 et 1835 pour les deux premiers volumes et les années 1840 pour le troisième.

Outre la force et la virtuosité que l’on connaît des estampes de Hokusai, ce qu’on trouve dans ses ehon c’est aussi un humour et une audace extraordinaire.

Pour voir ça en détail, je te propose de découvrir une des planches du volume 2 intitulée “Tôryû no fuji”.

* voir en bas de page pour le glossaire des termes japonais.

http://www.degener.com/1606-35a.htm

Quelques jeux de mots

Tout d’abord, parlons humour.

Dans chaque estampe, on trouve toujours un cartouche mentionnant le nom de la série à laquelle appartient l’image, mais aussi le nom de la scène. On trouve ensuite différents sceaux permettant d’identifier les différents artistes ayant travaillé sur l’image (graveur, imprimeur, éditeur, etc.).

Dans les ehon, c’est bien sûr différent. On trouve sur l’image en elle-même uniquement le titre de la planche (on trouvera parfois sur la tranche le titre de l’ouvrage). Ici les cartouches sont minimalistes.

Le titre de cette planche : “Tôryû no fuji” (登龍の不二) (oui, ça se lit de haut en bas et de droite à gauche).

Et là, magie du japonais, plusieurs images nous sautent aux yeux!

Le mont Fuji en japonais s’écrit normalement avec les kanji suivants : 富士山 (fujisan), littéralement la montagne (山) de la richesse (富) et de l’abondance (士).

Alors pourquoi Hokusai a-t-il utilisé d’autres kanji ?

Tout simplement pour créer la surprise et donner plus de profondeur à son œuvre.

不二 (fuji) se prononce de la même manière que 富士 (fuji).

Par contre, si l’un signifie la “montagne de la richesse et de l’abondance”, l’autre signifie “dont il n’y en a pas deux” ou ” sans égal”.

Hokusai joue donc sur les mots sans rien enlever à l’aura sacrée de la montagne la plus haute du Japon (3776 m), symbole national par excellence et source intarissable d’inspiration artistique.

Mais ce n’est pas fini avec les jeux de mots…

Parce que Hokusai est très fort à ce jeu, mais aussi parce que les amateurs d’images sont friands de ce genre de raffinements.

On se rappelle aussi que l’objectif de ces ehon est d’être vendus… Si une série d’estampes de haute qualité pourra se vendre très cher à des amateurs fortunés, les ehon sont destinés à un plus large public. De la même manière, si une estampe peut se vendre à l’unité, le ehon se vend en plusieurs volumes. Or, si l’éditeur veut que l’acheteur revienne pour le volume 2, il faut lui donner de quoi assouvir sa soif de jeux, de surprises et de nouveautés.

C’est là que l’imagination et l’audace graphique de Hokusai entrent en scène.

Revenons au titre de cette planche : “Tôryû no fuji” (登龍の不二) et plus particulièrement cette fois sur 登龍 (tôryû).

Pour un Japonais, le lien se fait tout de suite avec l’expression “登龍門” (tôryûmon) qui signifie “les portes du succès” ou “ouvrir la voie au succès”.

En revanche, si on prend les kanji séparément, on a 登 “grimper” et 龍 “dragon”, ce qui nous donne littéralement “dragon grimpant”. Un lien subtil est ainsi fait avec les deux éléments prédominants de cette planche : le dragon et le mont Fuji.

Il s’agit donc de nouveau d’un jeu de mots délicat mêlant bon augure jeu visuel. Cette mise en abyme du thème à plusieurs niveaux est un des aspects sophistiqués recherché par les amateurs d’estampes de l’époque Edo.

Et toi, quel titre tu préfères alors ?

Fuji au dragon grimpant ou Fuji de la voie du succès ?

Prouesse graphique en toute simplicité

Si ses grandes estampes nishiki-e telles que la célèbre série “Trente-six vues du mont Fuji”, outre leur beauté, sont parfois un peu figées, les illustrations de livre de Hokusai sont toujours pleines de vigueur. A tel point qu’on doit être capable de pouvoir fermer le livre si on se sent submergé d’émotions !

La beauté graphique et la vigueur des lignes sont ce qui fait la force des illustrations de livre de Hokusai.

Si les estampes luxueuses sont recherchées pour la variété subtile des couleurs (dont le fameux bleu de Prusse qui, suivant un effet de mode, est particulièrement mis à l’honneur dans les”Trente-six vues du mont Fuji” ) et les effets techniques (gaufrage, etc.), les ehon sont de simple feuilles de papier de riz imprimées en noir et blanc.

La magie opère donc ailleurs.

Entre les formes et les lignes.

Le mont Fuji, figure par excellence de la grandeur et de la beauté du Japon, prend à lui seul toute la première page (oui, un ehon se lit de droite à gauche!). Ses lignes épurées touchent le ciel, libre de toute nuisance.

Vient ensuite le dragon et sa force intrinsèque. Il amène la foudre et les nuages, eux aussi stylisés en de belles volutes régulières.

Les contrastes sont saisissants :

  • la sobriété du Fuji contre les détails du dragon
  • le lointain clair contre le proche foncé (il s’agit d’un code graphique)
  • la diagonale forte provoquée par l’écart entre nos deux motifs (Fuji en haut à droite et dragon en bas à gauche).

Un mot encore sur la technique d’impression.

Il est intéressant de rappeler ici que si Hokusai est l’auteur de ces images, il n’en est pas l’exécuteur.

Je m’explique.

Hokusai fournit le dessin en lui-même, que lui a commandé l’éditeur. C’est ensuite l’éditeur qui choisit un graveur puis un imprimeur qui vont à tour de rôle prêter leur talent pour faire de ces images les chefs-d’œuvre que l’on connaît aujourd’hui.

Je le mentionne ici pour souligner l’importance de chaque aspect de la création d’une estampe, notamment celui de l’impression, car c’est elle qui va rendre l’estampe unique.

Si la planche est gravée une fois, elle doit être re-encrée avant chaque passage d’impression. On peut donc trouver différentes versions d’une même œuvre dû au choix de l’imprimeur.

C’est surtout valable pour les nishiki-e, mais on retrouve aussi cet aspect ici par exemple avec le dégradé en bas de l’image ou le détail dans les volutes.

Chaque passage est l’occasion d’infimes variations.

Pour aller plus loin

  • J’en profite aussi pour te dire qu’une conférence dédiée au motif du mont Fuji vu par Hokusai sera disponible dans un Set Box de Noël mis en vente dans ma boutique éphémère du 28 novembre au 04 décembre prochain (lien valable dès 17h le 28 novembre). Idéal à glisser sous le sapin des passionnés du Japon!

Vocabulaire

ehon : littéralement “livre d’images“. En opposition aux yomihon de l’époque Edo où le texte était prédominant. Dans les ehon on trouve généralement une succession d’images avec parfois une page de texte en début et en fin de volume uniquement. Ces ehon servaient entre autres de manuels didactiques pour les amateurs d’art.

kanji : idéogrammes chinois utilisés dans la langue japonaise.

nishiki-e : “estampes de brocard”. Ce terme est utilisé pour les séries d’estampes luxueuses de très haute qualité destinées à de riches amateurs. Contrairement aux impressions de livres ou autres estampes de moins bonne qualité, ces images présentaient une variété de couleurs et de nuances significatives ainsi qu’un raffinement dans les détails comme la technique de gaufrage (karazuri) ou l’utilisation de mica (à base de silice) pour donner un effet brillant. En général, les estampes que l’on trouve dans les musées occidentaux sont des nishiki-e.

Hokusai, le maître de l’illusion…

Les “Trente-six vues du Mont Fuji” de Katsushika Hokusai (1760-1849) reste une des séries d’estampes japonaises les plus connues au monde. Réalisée entre 1830 et 1833, elle représente le Mont Fuji, la montagne la plus sacrée du Japon, vu de différents lieux à travers les saisons. A noter que la représentation du Fuji n’est pas l’objectif principal de la série, plutôt un prétexte, afin que Hokusai puisse exprimer librement sa hardiesse et ses jeux de composition sophistiqués. Un bel exemple ici avec “Kajikazawa dans le province de Kai”, planche n° 45 (9e planche supplémentaire) de la série «Trente-six vues du Mont Fuji». On y trouve une composition fluide, où les deux parties de l’images, premier plan chargé et fond extrêmement sobre, sont reliées par ce pêcheur intrépide surplombant la mer. Si on y regarde de plus près, vous verrez que cette posture n’est pas innocente…

Nous sommes effectivement face à un jeu visuel apprécié autant par Hokusai que par les hommes à qui sont destinées ces estampes nishiki-e de luxe. Le rocher au premier plan, s’avançant au-dessus de la mer et prolongé par le corps du pêcheur, complété par les lignes délicates des filets de pêche en contrebas, reproduisent en réalité la forme du Mont Fuji, majestueux, représenté au loin.

Si les œuvres de Katsushika Hokusai vous passionnent, ne manquez pas notre prochaine Visite-Conférence en ligne:

Dimanche 02 mai 2021 – 14h30 – 15 CHF – Zoom

“Le Mont Fuji, vu par Hokusai”

Réservez votre place via la boutique en ligne:

Image : Katsushika Hokusai, “Kajikazawa dans le province de Kai”, planche n° 45 (9e planche supplémentaire) de la série «Trente-six vues du Mont Fuji», vers 1830….

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Dimanche 7 juillet 2019 – 14h15 et 16h30 – Fête des étoiles & Photomatou

Dimanche 07 juillet 2019 – 14h15 et 16h30

Adultes & enfants dès 8 accompagnés

Fondation Baur

20 CHF tarif unique,

gratuit pour l’accompagnant

 

Tanabata, la fête des étoiles & Photomatou

Venez découvrir la légende de Tanabata, ou quand deux étoiles se rejoignent une fois par an, avant de vous faire photographier avec le panneau à chats Photomatou*. Vous pourrez ensuite customiser un joli cadre avec étoiles et bambou!

Adultes et enfants dès 8 ans sont les bienvenus!

*Photomatou: création originale de Diane et Andréa Villat, 2019.

Photos: Tortue-Prod, www.tortue-prod.com

Rendez-vous dès 14h00 au musée, la première visite commence à 14h15, ou dès 16h15 et la deuxième visite commence à 16h30.
Fondation Baur, Musée des Arts d’Extrême-Orient – Rue Munier-Romilly, 8 – 1206 Genève
www.fondationbaur.ch
Prix: 20 CHF tarif unique (gratuit pour l’accompagant).
Inscription obligatoire: desexposenfolie@yahoo.fr – 077 471 40 85