Quand je pense au lapin dans l’art japonais, le premier exemple qui me vient en tête c’est celui des fameux rouleaux peints du Chôjû jinbutsu giga (鳥獣人物戯画, lit. « Caricatures d’oiseaux et animaux humains ») ou Chōjū-giga (鳥獣戯画, lit. « Caricatures d’animaux »).
Il s’agit d’un ensemble de quatre rouleau peint ou emaki (絵巻), réalisé pour le temple Kôzan-ji à Kyôto au 12e siècle, aujourd’hui conservés dans les musées nationaux de Tokyo(pour les deux premiers rouleaux) et de Kyoto (pour les deux derniers rouleaux). Déclarée trésor national en 1952, cette œuvre marque un tournant dans la représentation d’animaux dans l’art japonais.
Caractéristiques
- 4 rouleaux peint emaki
- le premier mesure 30 cm de haut x 11 m de long
- succession d’images (sans texte) monochromes à l’encre de Chine
- style otoko-e (un des mouvements du yamato-e), caractérisé par un travail au trait libre et dynamique à l’encre de Chine.
Description
Le premier de ces rouleaux peints met en scène de nombreux animaux, mais principalement des singes, des lapins et des grenouilles, dans des situations de la vie humaines. Tous sont humanisés soit par le port d’habits, soit par le fait de marcher sur deux pattes, soit encore avec l’aide d’expressions faciales typiquement humaines. Telles de véritables caricatures de moines bouddhistes de la fin de l’époque Heian, on les voit faire leurs ablutions, organiser des cérémonies, mais aussi se battre à grands coups de bâtons ou de flèches.
Le second rouleau représente des animaux réels ou légendaires.
Le troisième rouleau dépeint des jeux de moines et de laïcs ainsi que des animaux humanisés.
Le quatrième rouleau montre des personnages (religieux et laïcs) très caricaturés dans des scènes de jeux, de cérémonies bouddhiques, etc.
A noter que le style, la composition et jusqu’au sujet des rouleaux ne proposent pas une unité caractéristique. Cette succession d’images et de scènes n’était probablement pas conçue à l’origine comme un ensemble uni et homogène.
Et le lapin dans tout ça ?
Le lapin est l’un des animaux qui reviennent le plus souvent dans le Chōjū-giga (鳥獣戯画). Comme vu dans l’article précédent (Le lapin au Japon, entre zodiaque et folklore), le lapin possède une symbolique ambivalente et il est bien connu dans les contes pour son côté farceur.
Étant donné qu’on ne sait pas quelles intentions avaient les auteurs de ces rouleaux (critiques ouvertes des mœurs monastiques de l’époque? jeux libres sur la représentation anthropomorphique d’animaux familiers?) il est difficile d’interpréter chaque scène. Par contre il semble évident que le lapin revêt ici sa parure cocasse et farceuse : de tous les visages, ceux des lapins sont de loin les plus expressifs de ces rouleaux.
Si les grenouilles ont des expressions plutôt figées semblables à leurs caractéristiques physiques, les singes sont plus expressifs, mais les lapins proposent une gamme d’émotions subtiles et variées qui nous questionnent véritablement sur notre rapport à l’animal et à la nature.
Chōjū-giga (鳥獣戯画), rouleau 1, détails.
Comment lire un emaki ?
Comme toute œuvre japonaise, le sens de lecture va de droite à gauche. Le rouleau fermé par une cordelette présente le titre de l’œuvre dans un cartouche au verso. Pour lire un emaki, on se place sur une table et on déroule l’œuvre par portion. Un rouleau par définition pouvant rouler, on fera attention de placer un objet de part et d’autres de la table, ou préférer de se placer directement au sol, sur des tatamis. A la différence d’un livre où les pages sont clairement définies et fixes, on peut choisir quelle portion du rouleau on souhaite voir.
Il existe trois sortes de emaki : ceux qui présentent une alternance d’images et de texte, ceux où il n’y a que des images et ceux où il y a un texte en début et/ou en fin de rouleau.
La grande différence entre le emaki et le livre, est que le premier est toujours réalisé à la main alors que le second va connaître un essor rapide grâce à la mécanisation de sa production. Dès l’époque Edo (1603-1868) et le développement de l’imprimerie, on assiste à un véritable boom de la production de livre au détriment de l’art du emaki, par définition plus minutieux et donc plus cher.
Attribution & interprétation
Traditionnellement attribués au moine Toba Sôjô (1053-1140), on pense aujourd’hui qu’une succession d’artistes ont en réalité contribué à l’élaboration de cette œuvre. De la même manière, et comme déjà abordé plus haut, il est difficile de proposer une interprétation satisfaisante de ces rouleaux tant leur contenu est surprenant.
Certains ont vu dans le Chôjû giga le premier manga et l’origine de l’animation japonaise. Sans entrer dans les détails, je dirais qu’il est intéressant de voir cette œuvre dans son contexte et de l’admirer pour elle-même avant tout. Ce qui est certain, c’est l’effet que ces traits fluides et dynamiques provoquent en nous. C’est la joie que ces animaux personnifiés nous procurent grâce à ces scénettes de jeux et de farces. C’est également l’influence que ces images ont encore aujourd’hui vu qu’on les retrouve toujours dans l’espace publique (publicités), papeterie, vaisselle et autres objets du quotidien.
Et toi, tu as déjà vu les fameux lapins du Chôjû giga quelque part? Dis-moi tout en commentaire.
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Le motif du lapin au Japon t’intéresse? Ne manque mon autre article sur le sujet: Le lapin au Japon, entre zodiaque et folklore.
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Sources
- OKUDAIRA Hideo, Le Chôjû giga, rouleaux peints classés trésor national (国宝絵巻 鳥獣戯画Kokuhô emaki Chôjû giga), Editions Iwasaki bijutsusha Ltd. (株式会社 岩崎美術社), 2003.
- Dictionnaire historique du Japon, volume 1, Maison Franco-Japonaise Maisonneuve & Larose, Paris, 2022, p. 298.
- Site officiel du musée national de Tokyo: https://www.tnm.jp/modules/r_free_page/index.php?id=1707#top [Consulté le 30 janvier 2023.]
- NIPPONIA No.27 December 15, 2003 : https://web-japan.org/nipponia/nipponia27/en/feature/feature03.html [Consulté le 30 janvier 2023.]