Tsukimi, ou comment admirer la lune d’automne en mangeant des mochi

Cette année, la date officielle du tsukimi ou otsukimi (お月見, littéralement « la contemplation de la lune ») a eu lieu le 17 septembre.

Il s’agit de la nuit du 15e jour du huitième mois lunaire qui est un soir de pleine lune. Cette fête de la mi-automne originaire de Chine est aujourd’hui célébrée dans de nombreux pays asiatiques. On a coutume d’y manger des mets particuliers qui font référence à la lune ou au lapin qu’on dit voir dans la lune.

Un petite recette pour l’occasion

En écho à cette fête si importante de l’automne japonais, je te propose ma recette de mitarashi dango. Il s’agit de brochettes de mochi à base de farine de riz gluant nappée d’un glaçage au sucre et à la sauce soja.

Tu m’en diras des nouvelles !

Ingrédients et marche à suivre pour environ 15 dango (boulettes)

  • 120 gr de farine de riz gluant de type joshinko (important, ce n’est pas de la farine normale, tu la trouveras dans les magasins asiatiques)
  • 200 ml d’eau
  1. Dans un plat en verre allant au micro-onde, verser la farine de riz gluant et ajouter petit à petit l’eau tout en mélangeant bien. Tu obtiendra une sorte de pâte à crêpe un peu liquide.

2. Couvrir le plat et le mettre au micro-onde pour 30 secondes. Sortir et mélanger. Remettre au micro-onde et cuire à nouveau 30 secondes. Répéter l’opération plusieurs fois (cuire environ 3 à 4 minutes). La pâte doit durcir un peu mais rester assez élastique.

3. Former des boulettes d’environ 2 cm de diamètre.

4. Faire bouillir un grand volume d’eau et faire cuire les dango par portion jusqu’à ce qu’elles remontent à la surface (entre 7 et 15 min selon la grosseur de tes boulettes).

5. Les plonger ensuite dans de l’eau glacée pendant quelques minutes. Une fois refroidis, bien égoutter les dango et les piquer par trois sur des brochettes.

Ingrédients et marche à suivre pour le glaçage sucré à la sauce soja

  • 2 c.s de sucre
  • 1 c.s de mirin
  • 1 c.s de sauce soja
  • 1 c. s de maïzena
  • 75 ml d’eau

1.Dans une petite casserole hors du feu, mettre tous les ingrédients et bien mélanger pour que la fécule soit bien dissoute.

2. Mettre sur le feu et mélanger constamment jusqu’à ce que le mélange commence à épaissir.

3. Sortir du feu en fouettant toujours jusqu’à obtention d’une pâte homogène et onctueuse.

4. Napper les brochettes de sauce et servir avec un thé vert.

Napper les brochette

(C) Le Japon avec Andrea. La recette et toutes les images sont soumises au droit d’auteur.

Tsukiyoka Yoshitoshi – Cent aspects de la lune

Yoshitoshi et son œuvre

Tsukioka Yoshitoshi (月岡 芳年, 1839-1892) est souvent considéré comme le dernier grand maître de l’estampe ukiyo-e (浮世絵, images du monde flottant), ce fameux style d’estampes japonaises popularisé durant l’époque Edo (1603-1868) qui représente le summum de l’élégance faste, notamment avec ses nishiki-e (錦絵, image de brocart). Alors que cette tradition artistique commençait à décliner avec l’ère Meiji (1868-1912), Yoshitoshi a su revitaliser le genre en intégrant des éléments narratifs complexes et une imagerie poignante.

Son œuvre est profondément marquée par son maître, Utagawa Kuniyoshi (歌川 国芳, 1798-1861), l’un des artistes les plus influents de l’école Utagawa, réputé pour ses représentations audacieuses de guerriers, de scènes mythologiques et d’histoires fantastiques.

Utagawa Kuniyoshi, Miyamoto Musashi attaquant une baleine géante, vers 1847.

Kuniyoshi était reconnu pour sa capacité à capturer des scènes dynamiques, des récits dramatiques, souvent teintés de violence ou de surnaturel. Ces thèmes sont repris et amplifiés dans les œuvres de Yoshitoshi représentant des batailles héroïques et des guerriers légendaires. Le sens du détail de Kuniyoshi, sa maîtrise des lignes et des compositions complexes, ainsi que sa propension à incorporer des éléments surnaturels et épiques ont profondément influencé Yoshitoshi dans sa propre approche de l’ukiyo-e.

Malgré cette forte ascendance, Yoshitoshi a su forger une identité artistique distincte en intégrant des thèmes plus introspectifs et émotionnels, souvent en lien avec la psychologie des personnages et les tourments de la condition humaine. Là où Kuniyoshi excellait dans les représentations épiques et héroïques, Yoshitoshi a approfondi les émotions individuelles, introduisant une sensibilité nouvelle à travers ses estampes et a su capter le cœur et l’esprit des Japonais en pleine transition culturelle et politique.

La série “Cent aspects de la lune” (月百姿, Tsuki hyakushi), réalisée entre 1885 et 1892, est considérée comme le sommet de l’art de Yoshitoshi, illustrant son habileté à marier le traditionnel et le moderne dans une époque en plein bouleversement. Cette série montre comment Yoshitoshi a gardé l’héritage traditionnel de l’estampe tout en le poussant vers de nouvelles formes d’expression narrative et visuelle, faisant de son ultime œuvre aboutissement de son art.

Yoshitoshi, “Sun Wukong et le lapin de jade”, in Cent aspects de la lune, planche n°73, 1886.

La série “Cent aspects de la lune”

La série “Cent aspects de la lune” (月百姿, Tsuki hyakushi) se compose de 100 estampes, chacune mettant en scène une histoire où la lune joue un rôle central ou symbolique. Ces scènes sont tirées de la littérature classique, de récits historiques, de légendes et de contes populaires japonais et chinois.

La série est riche en symbolisme, et la lune y est omniprésente, comme un miroir des états d’âme des personnages. Elle sert de fil rouge, de fil conducteur à toute la série, comme un personnages central sur lequel on peut toujours compter. Qu’elle soit pleine, voilée par les nuages, ou partiellement visible, elle influence le ton de chaque scène, accentuant soit le mysticisme de la scène, soit l’introspection des personnages.

D’un point de vue technique, Yoshitoshi innove en combinant des techniques traditionnelles avec une sensibilité moderne. Il introduit une palette de couleurs plus riche que ses prédécesseurs, notamment en jouant avec des tons plus subtils et en accentuant les contrastes. Le ciel nocturne et le contraste avec les tons doux et délicats de la lune offrent un terrain de jeu pour l’artiste qui la profondeur d’un et de l’autre pour faire naître mystère, inquiétude ou émerveillement dans le cœur du spectateur.

Scènes guerrières, de l’imaginaire et de l’audace

Par exemple, sur la planche n°8 de la série, intitulée Gekka no sekko ou “Patrouille de nuit”, Yoshitoshi dépeint Saitō Toshimitsu (1534-1582), un vassal du célèbre général Akechi Mitsuhide (1526-1582) qui provoqua la mort du général Oda Nobunaga lors de l’incident Honnô-ji1 en juin 1582.

Cette scène de nuit se situe avant la bataille de Yamazaki (山崎の戦い, Yamazaki no tatakai). Cette bataille historique découle de l’incident du Honnô-ji où Nobunaga a trouvé la mort et voit la confrontation entre les forces de Mitsuhide et celles de Toyotomi Hideyoshi et des forces fidèles à Nobunaga et son projet d’unification du Japon2.

1. Cet incident et la bataille de Yamazaki sont racontés dans le Taikô-ki (太閤記), biographie de Toyotomi Hideoyoshi publiée en 1626. En résumé, Mitsuhide, un général vassal de Nobunaga, l’a trahi et a mis feu au temple Honnô-ji où Nobunaga se reposait. Voyant qu’il n’y avait pas d’issue possible, Nobunaga s’est donné la mort par seppuku (mort honorable pour un guerrier). La bataille de Yamazaki est la suite de cet incident, où les forces alliées à Nobunaga menées par Hideyoshi écrasèrent le clan de Mitsuhide (Dictionnaire historique du Japon, vol 1, p.1052).

2. Oda Nobunaga (1534-1582) était un général (daimyô) japonais et une des figures majeures des périodes Muromachi (1336-1573) et Azuchi-Momoyama (1573-1603). Il a porté une vaste opération d’unification du territoire japonais. Assassiné avant de voir sa vision d’un Japon uni et en paix se réaliser, c’est son successeur Toyotomi Hideyoshi qui finira son œuvre (Dictionnaire historique du Japon, vol 2, p.2107-2109).

Yoshitoshi, “Gekka no sekko”, in Cent aspects de la lune, planche n°8, 1885.

L’image montre Toshimitsu dans un moment dramatique de tension, patrouillant sur la rivière Kamo, proche de Kyoto. Armé d’une lance, il est prêt au combat, mais pour l’instant il ne peut que scruter la pénombre dans l’attente de l’ennemi. Le clair de lune ajoute une dimension à la fois sereine et sinistre à la scène silencieuse qui précède la bataille, un contraste souvent utilisé par Yoshitoshi pour souligner le côté héroïque et tragique des personnages historiques.

Le ciel nocturne, éclairé par la pleine lune, enveloppe la scène dans une ambiance onirique, presque surnaturelle, créant une impression de calme avant la tempête et la violence. La présence de la lune souligne également l’idée de destin inévitable et de sacrifice tellement mis en avant dans les récits épiques.

Scène poétiques et théâtrales

Dans une autre estampe intitulée Sotoba no tsuki ou “Lune sur stûpa” (planche n°25). On y trouve la poétesse Ono no Komachi ((小野 小町, 825-900), une figure historique du IXe siècle célèbre pour sa beauté et ses poèmes mélancoliques. Dans cette planche, la lune symbolise la beauté qui s’efface et la solitude, un thème central dans la poésie japonaise.

Yoshitoshi, “Sotoba no tsuki”, in Cent aspects de la lune, planche n°25, 1886.

La scène montre la poétesse assise sur un sotoba (translittération du mot sanskrit stûpa, il s’agit d’une structure ou d’un édifice sacré contenant une relique de Bouddha ou d’un saint. Au Japon un sotoba peut aussi être des plaquettes de bois avec inscriptions que l’on laisse en offrandes aux défunts, dressée sur les tombes.)1 à terre, âgée, en habits élégants et riches mais flanquée d’un vieux chapeau de paille délabré. Elle attend là, à la lueur de la lune.

On peut y voir une scène de théâtre Nô Sotoba Komachi (“Le stûpa de Komachi”) où deux prêtres rencontrent une vieille femme assise sur un stûpa et qui se lamente sur sa beauté fanée et sa vie passée2. Sa place historique ainsi que son aura populaire fait d’elle un parfait sujet dramatique pour Yoshitoshi.

  1. https://www.aisf.or.jp/~jaanus/deta/t/tou.htm
  2. https://www.the-noh.com/en/plays/data/program_069.html

L’héritage de Yoshitoshi et la résonance contemporaine de son œuvre

L’influence de Yoshitoshi et de sa série “Cent aspects de la lune” perdure bien au-delà de son époque. En effet, bien que le Japon de la fin du XIXe siècle soit marqué par la modernisation rapide et l’introduction de techniques occidentales, Yoshitoshi a réussi à préserver l’essence des traditions japonaises tout en renouvelant l’art de l’ukiyo-e. Aujourd’hui, ses œuvres continuent d’inspirer des artistes à travers le monde, en raison de leur beauté, mais aussi de la richesse émotionnelle et narrative qu’elles contiennent.

Si tu veux aller plus loin, retrouve toutes les œuvres de cette série (avec explications en anglais) sur https://yoshitoshi.net/series/100moon.html

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Sources en ligne :

https://yoshitoshi.net/series/100moon.html

https://www.aisf.or.jp/~jaanus/deta/t/tou.htm

https://www.the-noh.com/en/plays/data/program_069.html

Bibliographie

  • Dictionnaire historique du Japon, vol 1 et 2, éditions Maisonneuve & Larose, 2002.

(C) Le Japon avec Andréa, tous droits réservés.

Obon, entre recueillement et divertissement

Célébrer les ancêtres au Japon

Fête importante au Japon, le Obon est célébré tous les ans autour du 15 août. Selon les régions, la date de la fête change, mais les coutumes restent assez similaires.

En général, les Japonais profite de ces quelques jours fériés pour rentrer dans leur ville ou village natal. En famille, ils se rendent sur les tombes de leurs ancêtres, nettoient les pierres tombales et y déposent des offrandes, le plus souvent des fleurs et de l’encens.

La coutume veut que l’on allume dans son jardin ou devant sa maison une lanterne (mukaebi) afin de guider les esprits des ancêtres jusque leur maison. On fera la même chose à la fin des festivités pour raccompagner les ancêtres sur le chemin de l’au-delà (okuribi). Les lanternes ont une place importante dans tous les festivals japonais, mais ici il y a vraiment la notion d’accompagnement : s’assurer que les esprits arrivent à bon port mais aussi (et surtout) qu’ils retrouvent le chemin pour repartir !

Sur l’autel familial, on prendra soin de déposer des offrandes, souvent de la nourriture, mais aussi des fleurs, de l’encens et même deux petites figurines particulières : un concombre et une aubergine flanqués de cure-dents.

Le concombre représente un cheval que pourront monter les esprits pour venir vite, alors que l’aubergine représente une vache, pour que les esprit repartent lentement afin de faire leur adieux, mais aussi parce qu’ils sont chargés d’offrandes. J’aime beaucoup ces petits aspects très concrets qui viennent donner de la profondeur à chaque rituel, chaque petit geste, répété inlassablement.

Un autre élément qui revient souvent, c’est le physalis. Cette plante, dont le calice laisse apparaitre le fruit rouge-orange au fur et à mesure que le temps passe, fait tellement penser à une lanterne qu’au Japon on l’appelle hoozuki (鬼灯) soit “lanterne-esprit”.

Vient ensuite le temps de la fête ! On sort pour voir défiler danseurs et tambours et on rejoint la foule qui danse dans les rues et les ruelles illuminés dans la nuit par des centaines de lanternes. Comme dit le refrain : “Que tu danses ou non tu es fou, alors autant danser!”. Cette ritournelle invite chacun à se joindre au groupe de danseurs afin de vivre pleinement ce festival joyeux et coloré mêlant recueillement, célébration et divertissement.

Le Obon à Genève en 2024

Cette année j’ai été invitée par le service des pompes funèbres de la Ville de Genève à animer un atelier de confection de lanternes flottantes dans le cadre du festival Obon organisé le 31 août (fig.1). Destiné aux enfants, cet atelier convivial m’a permise de parler des gestes et rituels typique de cette fête populaire, à commencer par le port du yukata (fig.2), mais aussi les différentes offrandes sur l’autel familial, le concombre et l’aubergine (fig.3) et bien sûr, les lanternes (fig.4-6).

Ce moment de créativité joyeuse nous a amené jusqu’à l’étang du cimetière Saint-Georges (fig.7), accompagné par les flûtes et les tambours, étang où nous avons laisser les lanternes voguer au gré de l’eau (fig.8, 9).

Quel beau moment et quelle magie de revenir à la nuit tombée admirer la danse des lanternes dans l’obscurité (fig.10-13).

La fête a ensuite battu son plein au rythme des danses (Atelier Nihon-Buyô Genève) et des tambours (Rémi Taiko) invités pour l’occasion. Une expérience rare de festival japonais au cœur de Genève!

Si tu n’as pas eu l’occasion de participer, j’envisage de faire un atelier lanterne à l’espace Gaimont pour accueillir l’automne. Si tu es intéressé.e n’hésite pas à me faire signe !

Bibliographie

Les ouvrages avec une * sont adaptés aux enfants de 6-8 ans.

  • IZUMI et LEBLANC Sophie (illustratrices), Bienvenue au Japon*, éditions MILAN, Toulouse, 2009.
  • JEGU Zoé, Japon, l’archipel aux 72 saisons, éditions Sully, Vannes, 2023.
  • LOIRET Guillaume, Le Japon: un pays, des hommes, une culture*, éditions MILAN, Toulouse, 2015.
  • MESSAGER Alexandre, Aoki, Hayo et Kenji vivent au Japon*, éditions de La Martinière, Paris, 2006.
  • PINON Matthieu, Une année japonaise : immersion dans le quotidien japonais au fil des douze mois de l’année, Ynnis Edition, Paris, 2017.
  • VARNAM-ATKIN Stuart, Le meilleur de la culture japonaise, une vue d’ensemble illustrée, éditions Sully, Vannes, 2017.

Textes et images sont soumis au droit d’auteur. (C) Le Japon avec Andrea, tous droits réservés.

3 livres à apprécier sous le parasol

C’est l’été. C’est le moment de s’autoriser de longue heures de lecture. Voici mes 3 livres fétiches du moment. Les 2 premiers je te les ai déjà présentés une fois ou l’autre, mais je les aime vraiment beaucoup! Le dernier je l’ai reçu pour mon anniversaire et je l’ai lu d’une traite… sur le transat au bord de la piscine!

Bon plan

Si tu n’as pas envie d’acheter ces livres (ou que tu les as déjà lu…), n’hésite pas à aller faire un tour dans la bibliothèque la plus proche de chez toi, tu y trouveras surement quelques livres japonais à ton goût.

Interminablement la pluie

Nagai Kafû

Lors, plus que le vent et plus que la lune, et plus que le chant des insectes, il n’est sans doute pour celui qui vit seul rien d’aussi douloureux que la pluie. […]

“Ainsi, quand la pluie frappe les fenêtres. coule le long de l’auvent, dégoutte sur les arbres et lave les bambous, son écho l’emporte, pour émouvoir le cœur des hommes, sur le vent qui crie dans les arbres et sur l’onde qui suffoque dans les précipices. La voix du vent est voix de courroux, la voix de l’onde est de sanglots. Mais la voix de la pluie ne se courrouce ni se lamente; simplement elle se raconte et elle se confie. Depuis mille générations, le cœur humain reste le même, et qui donc, par une nuit solitaire, en écoutant de son oreiller le son de cette voix, ne se sentirait envahir par la mélancolie? […]” *

Un des premiers auteurs japonais que j’ai lu et qui a radicalement influencé mon amour pour le Japon. Un retour sur ce Japon d’Edo à travers le regard d’un passant nostalgique qui peine à accepter le nouvel air de la Restauration de Meiji et qui préfère discuter poésie et solitude.

Viens flâner dans les ruelles avec Kafû et respirer l’air d’un temps révolu, qui n’existe plus que dans les livres…

L’amour, la mort et les vagues

Yasushi Inoue

“Ah, ce coin a l’air parfait!” pensa Sugi en arrêtant son regard sur un endroit, tout à fait à gauche de la grande falaise. Il y avait là des pins au-dessus desquels voletaient quatre ou cinq petits oiseaux de mer dont il ne connaissait pas le nom. Brusquement, ils repliaient leurs ailes et le laissaient tomber en ligne droite une dizaine de fois. Comme ils piquaient en plein sur les rochers, on pouvait croire qu’ils allaient s’y fracasser, mais ils faisaient volte-face, remontaient en décrivant un arc de cercle, puis plongeaient en vrille un peu au large de la bande d’écume.

“Vraiment idéal!” pensa Sugi. C’était la première fois qu’il se réjouissait d’avoir trouvé un endroit convenable pour se donner la mort; soulagé, il se mit à fumer.**

Juste incroyable! Tout l’art de Yasushi INOUE dans ces trois nouvelles toutes aussi surprenantes les unes que les autres. Trois histoires d’amour un peu étranges, un peu à côté, un peu pas comme on les imagine dans les romans… Tu seras à la fois charmé.e, intrigué.e, et bien sûr surpris.e par la chute de chacune de ces histoires où la vie aura finalement toujours le dernier mot.

La bibliothèque des rêves secrets

Michiko Aoyama

“Sirotant le café qui m’avait été servi, j’ai attrapé un livre en exposition. L’employée était retournée à la caisse. Je me suis dit qu’un moment de détente ici en compagnie des chats me suffisait : je pouvais rentrer chez moi.

Le chat, muni d’un collier orange, qui dormait tout à l’heure sur le coussin, a bondi sans un bruit. Il s’est aussitôt assis, agitant la queue. Nos regards se sont croisés.

“Tu es venu exprès pour savoir ce qui se trouve au-delà du rêve, non?”

L’impression qu’il me parlait m’a bouleversé.”***

Un livre doux, chaleureux, précieux. Un roman qui donne au livre un pouvoir magique, celui de changer le cours de sa vie. A travers le point de vue de 5 personnes aussi différentes qu’attachantes, nous est offert un tableau vivant de la vie au Japon, entre pression sociale, travail, vie de famille et des choix que chacun doit faire à un moment ou un autre afin de privilégier son bonheur ou sa carrière. Loin d’être lourd ou déprimant, l’accent est plutôt mis sur la surprise qui nous attend tous au détour du chemin, quand soudain un passage inattendu s’ouvre sous nos pieds. Une découverte !

As-tu déjà lu ces livres? Est-ce que toi aussi tu as des livres japonais fétiches?

Au plaisir de lire tes commentaires !

………….

* KAFÛ Nagai, Interminablement la pluie, éd. Picquier, Paris, 1994, p.52-53.

** INOUE Yasushi, La mort, l’amour et les vagues, éd. Philippe Picquier, Paris, p. 11.

*** AOYAMA Michiko, La bibliothèque des rêves secrets, éd. Nami, Paris, 2022, p.119.

Le iroha-uta, ou comment apprendre les hiragana avec style

En résumé, c’est l’équivalent poétique d’un abécédaire.

Littéralement, “i-ro-ha” sont les trois premiers signes du texte en question et 歌 (uta) qui signifie “chant, chanson, récitation, poème”.

Il s’agit d’une récitation (un peu à la manière d’un sûtra) qui utilise toutes les lettres du syllabaire hiragana* et qui a été utilisé pendant très longtemps comme base de l’apprentissage de la langue japonaise.

Inventé entre le Xe et le XIe siècle (le témoignage le plus ancien de ce poème date de 10791) et d’auteur inconnu, ce chant a profondément marqué l’enseignement du japonais et ce jusqu’à l’époque moderne. On retrouve cet arrangement de kana dans de nombreux dictionnaires et liste alphabétique de l’époque médiévale comme par exemple le 色葉字類抄 Iroha jiruishô (Recueil de mots classés selon l’ordre i-ro-ha) à la fin de l’époque Heian (794-1185).2

Maîtriser parfaitement ce chant était donc important pour les hommes de lettres du Japon ancien, tout comme il l’est aujourd’hui pour les chercheurs et spécialistes du Japon.

*On notera l’absence du “n” qui est apparu à l’époque Edo (1603-1868) et la présence du “wi” et du “we” aujourd’hui obsolètes.

  1. https://kotobank.jp/word/%E3%81%84%E3%82%8D%E3%81%AF%E6%AD%8C-32577#E4.B8.96.E7.95.8C.E5.A4.A7.E7.99.BE.E7.A7.91.E4.BA.8B.E5.85.B8.20.E7.AC.AC.EF.BC.92.E7.89.88 [consulté le 12.11.2023]
  2. Dictionnaire historique du Japon, livre 1, Maison franco-japonaise, éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.1194.

Illustration pour l’article Japon de l’encyclopédie Brockhaus et Efron, 1905.

On se rappelle que le japonais se lit de haut en bas et de droite à gauche.

Chant et traduction

Voici la transcription de ce poème :

いろはにほへと ちりぬるを

i ro ha ni ho he to chi ri nu ru wo


わかよたれそ つねならむ
wa ka yo ta re so tsu ne na ra mu

うゐのおくやま けふこえて

u wi no o ku ya ma ke fu ko e te


あさきゆめみし ゑひもせす

a sa ki yu me mi shi we hi mo se su

Et sa traduction :

La couleur maintenant éclatante, demain se fanera;

dans ce monde qu’y a-t-il de permanent?

Une fois passées les hautes montagnes de l’enchaînement des causes et des effets,

il n’y a plus ni illusions, ni jouissances.1

Si ça t’intéresse, voici le texte modernisé avec les kanji :

色は匂へど 散りぬるを
我が世誰ぞ 常ならむ
有為の奥山 今日越えて
浅き夢見じ 酔ひもせず

Basé sur une métrique 7-5, ce poème a la forme d’un 今様 (imayô), genre poétique pratiqué dès le milieu de l’époque Heian (794-1185). Il s’agit d’une succession de quatre séquences de deux vers de 7 et 5 syllabes.2

Le sens de ce poème quant à lui est à rapprocher du sûtra du Nirvana (Nehan-kyô), qui nous met en garde contre les illusions de l’impermanence de toutes choses.

  1. Dictionnaire historique du Japon, livre 1, Maison franco-japonaise, éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.1193.
  2. Dictionnaire historique du Japon, livre 1, Maison franco-japonaise, éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.1194.

Pourquoi apprendre le iroha aujourd’hui ?

Parce qu’il est encore utilisé dans certains dictionnaires ou dans l’apprentissage de certaines disciplines traditionnelles comme la calligraphie. Mais aussi parce que cette chanson fait partie intégrante de la culture et de la langue japonaise.

C’est comme si un Japonais venait vers toi et récitait “Le corbeau et le renard” sans sourciller. C’est pas vital mais ça montre une certaine connaissance et surtout un intérêt profond pour la langue et la culture française.

Le iroha, c’est un peu pareil.

Tu n’es pas obligé de l’apprendre par cœur (même si ça en jette un peu quand même…), mais tu peux l’utiliser pour réviser tes hiragana ou t’aider à les apprendre autrement.

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Si toi aussi tu veux apprendre les kana de façon ludique, découvre mes cartes KARUTA pour apprendre et révision tes hiragana et tes katakana.

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(C) Le Japon avec Andrea

HAIKU : matcha et rituel d’écriture

Dans cet article, j’avais envie de te partager mon petit moment d’écriture, particulièrement propice quand vient l’automne et ses premières vagues de froids.

En temps normal, j’aime aller me promener et me laisser inspirer par la nature. Exposer son corps aux éléments rends les kigo beaucoup plus concret et permet parfois de “débloquer” l’écriture.

Aujourd’hui je te partage un autre rituel d’écriture que j’aime bien, qui ne nécessite pas cette fois de chausser bottes et cache-nez.

Le rituel

  1. J’aime me fouetter un thé matcha (voir la recette ci-dessous), m’installer confortablement sous un plaid ou à la fenêtre près du radiateur et sortir mon cahier dédié au haiku.
  2. Je choisis un kigo qui me plaît, m’inspire, me questionne ou me semble propice à l’écriture à ce moment précis.
  3. Je fais une liste de mots et d’émotions que m’évoque ce kigo. J’essaye d’ouvrir mon champ lexical et de me laisser surprendre.
  4. Je laisse le ou les poèmes venir à moi, tranquillement, sans pression.
  5. Tout en finissant mon matcha, je prends le temps de me détacher du/des poèmes écrits. C’est peut-être l’occasion de lire un ou deux haiku de mon auteur préféré ou de regarder par la fenêtre les jeux colorés de l’automne.
  6. Je prends ensuite le temps de relire mon/mes haiku (ça peut être plusieurs jours plus tard, donnant lieu à un nouveau moment de thé).

Les points à vérifier:

  • la métrique 5-7-5
  • 1 seul kigo
  • 1 seule émotion
  • les répétitions (de sons, de sens,…)
  • les rimes
  • est-ce qu’il y a de la place pour ton lecteur ?

Si un ou des points ne sont pas respecter ou me posent problème, je retravaille le poème ou j’en écris un nouveau.

Ce travail d’écriture est vraiment important et me permet de mieux me connecter à ma sensibilité et aux vibrations de la saison en cours. Je me sens ancrée dans le moment présent et quand je reviens sur ces poèmes plus tard, ils me satisfont et je me sens validée dans mon écriture.

Si je ne fais pas ce travail, par la suite je suis souvent déçue par mes poèmes car je réalise après coup qu’ils sont vides de sens ou redondant et qu’ils ne transmettent pas l’émotion ou le “tableau” que j’avais envie de partager.

Tu veux un exemple ?

Premier jet

sourire fugace

les doigts du vent

à la surface de l’eau

-> pas de kigo, trop descriptif, pas d’émotion

Version après travail

sourire fugace

dansant au vent d’automne

nos ombres mêlées

-> plus d’espace et de zones d’interprétation pour le lecteur.

Si tu veux découvrir toutes les étapes de travail d’un poème à l’autre, rejoins “Haiku : la boîte à outils”. J’y ai posté une vidéo où je détaille tout le processus.

Est-ce que toi aussi tu retravailles tes haiku ou préfères-tu les laisser tels quels ? Est-ce que tu aimes relire tes anciens poèmes ? J’ai hâte de te lire.

Recette du matcha

Matériel nécessaire:

  • un bol chawan ou bol à thé. Peut être remplacé par un bol d’environ 15cm de diamètre à fond assez plat.
  • une cuillère chashaku, longue cuillère en bois qui sert à mesurer le matcha (peut être remplacé par une cuillère à café)
  • un fouet chasen, fouet en bambou spécifique à la préparation du thé matcha, ou un petit fouet de cuisine.

Ingrédients (pour un thé léger usucha)

  • 2 cuillères chashaku (env. 1 c.c) de poudre de thé matcha
  • 160 ml d’eau à 80 C°
  • un wagashi de saison (pâtisserie traditionnelle japonaise) ou un morceau de takuan (pâte de haricot rouge sucré en barre) facile à trouver dans les magasins d’alimentation japonaise. Peut être remplacé par une petite pâtisserie occidentale.

Préparation du thé

  1. Faire chauffer l’eau jusqu’à frémissement (ne pas faire bouillir l’eau).
  2. Verser 2 cuillères chashaku de poudre de thé dans le bol.
  3. Verser environ 160 ml d’eau frémissante sur le thé et fouetter délicatement avec le chasen (ou le fouet de cuisine).
  4. Manger la pâtisserie japonaise AVANT de boire le thé. La douceur du wagashi va contrebalancer l’amertume du matcha et sublimer ton expérience.

Enjoy!

(c) Le Japon avec Andrea, 2023.

Les oies sauvages dans l’art japonais

Un de mes souvenirs les plus forts de mon premier voyage au Japon fut l’apparition de ces oiseaux et leur V reconnaissable, dans le ciel de Kyoto en octobre 2009. Pourquoi les oies sauvages? Parce que durant mes études en art japonais, j’ai eu l’occasion de la croiser souvent cette figure de l’oie sauvage. Elle est très présente, notamment dans la série “Les huit vues de Ômi” (Ōmi hakkei, 近江八景) de Ando Hiroshige.

Il en a réalisées plusieurs, toutes les plus audacieuses les unes que les autres d’un point de vue graphique et de composition. Tout comme les célèbres séries d’estampes “Les cinquante-trois stations du Tôkaidô” du même artiste ou “Les trente-six vues du mont Fuji” de Hokusai, ces images avaient pour but de faire voyager le lecteur ou de le renseigner en cas de déplacement sur les choses à ne pas manquer durant son trajet.

Ainsi les huit vues d’Òmi montrent toujours les huit mêmes vues :

  1. Temps clair à Awazu (Awazu seiran, 粟津晴嵐)
  2. Lune d’automne au temple Ishiyama (Ishiyama shūgetsu, 石山秋月)
  3. Les oies descendant à Katada (Katada rakugan, 堅田落雁)
  4. Nuit pluvieuse à Karasaki (Karasaki yau, 唐崎夜雨)
  5. Soleil du matin à Seta (Seta sekishō, 勢田夕照)
  6. Neige au crépuscule sur le Mont Hira (Hira bosetsu, 比良暮雪)
  7. Evening Bell at Miidera Temple (Mii banshō, 三井晩鐘)
  8. Retour au port à Yabase (Yabase kihan, 八橋帰帆)

Le talent et la virtuosité de l’artiste feront le reste.

La force des artistes japonais réside souvent dans leur capacité à reproduire dix fois le même thème avec toujours un point de vue différent, une prouesse graphique ou une audace spatiale qui rend chaque œuvre unique et digne d’intérêt.

La vue qui nous intéresse est évidemment la 3e, “Les oies descendant à Katada”. Katada est une petite ville côtière sur le lac Biwa (le plus grand lac du Japon, au nord de Kyoto) où les oies sauvages ont l’habitude de faire escale en automne.

Voici deux exemples d’œuvres sur ce thème réalisées la même année par Hiroshige :

Ando Hiroshige, Les huit vues d’Òmi, Oies descendant sur Katada, format yotsugiri (19.5 x 13.25 cm), ~1834-35.
Ando Hiroshige, Les huit vues d’Ômi, Oies descendant sur Katada, format ôban horizontal (39 x 26.5 cm), 1834-35 (Tenpō 5-6).

La différence de qualité s’explique par le type de commande. Si la première œuvre semble moins soignée, c’est qu’elle fait le quart de la taille de celle du dessous et que probablement les moyens de production étaient eux aussi réduits. La première œuvre était probablement un équivalent à la carte postale d’aujourd’hui, une image souvenir qu’on pouvait se procurer à moindre coûts dans les foires, chez les marchands de livres ou sur les lieux de passage. Tandis que la deuxième, plus luxueuse, entre dans la catégorie des nishiki-e (“image de brocard”, 錦絵), c’est à dire des estampes soignées coûteuses, commandées par de riches amateurs.

La règle d’or de ces séries d’estampes étaient de divertir, voire de surprendre. L’idée était que les amateur, selon leurs moyens, se procureraient la série entière si les œuvres sont assez originales. Encore plus lorsqu’il s’agit de commandes privées par de riches marchands. Ils espèrent épater la galerie et surprendre leurs amis lors de réunion entre amateurs éclairés. L’audace et l’originalité sont donc au cœur de la production de ces images.

Ando Hiroshige, Les huit vues d’Ômi, La baie de Katada (Katada no ura, 堅田の浦), format aiban horizontal (35 x 23.5 cm), 1852.

Des artistes comme Hiroshige ou Hokusai ont su prendre parti de cette situation et il nous pouvons encore aujourd’hui sentir vibrer les lignes et les couleurs de chaque composition.

(C) Le Japon avec Andrea

Matcha et fantaisie

La chambre de thé (suki-ya) ne prétend pas être autre chose qu’une simple cabane – une hutte de paille, ainsi que nous l’appelons. Les caractères originaux composant le mot suki-ya signifient “Maison de la Fantaisie”. […] La chambre de thé est à l’évidence une Maison de la Fantaisie puisqu’elle apparaît comme une structure éphémère construite à seule fin d’abriter une impulsion poétique. Elle est aussi une Maison du Vide en ce qu’elle est dénuée de toute ornementation, hormis ce qui peut y être placé pour satisfaire une nécessité esthétique passagère. Elle est, enfin, une Maison de l’Asymétrique parce qu’elle se voue au culte de l’Imparfait, et qu’on y laisse volontairement une part d’inachevé que le jeu de l’imagination peut compléter à sa guise.1

Poudre fine, vert intense, saveur rugueuse et délicate en bouche, douce sensation du tatami, simple éclat du chawan, vue imprenable sur un jardin, le thé matcha évoque immédiatement une myriade d’émotions et d’éléments esthétiques à celui qui tient le Japon dans son cœur.

Aujourd’hui je t’invite à un voyage sensoriel et savoureux. Non pas une cérémonie du thé, mais un “moment de thé”, de toi à toi, sans chichi, pour sortir (enfin) ce matcha de ton placard et prendre plaisir à le boire.

  1. OKAKURA Kakuzô, Le livre du thé, éd. Picquier poche, 2008, p. 76.

Ustensiles

  • un bol chawan ou bol à thé. Peut être remplacé par un bol d’environ 15cm de diamètre à fond assez plat.
  • une cuillère chashaku, longue cuillère en bois qui sert à mesurer le matcha (peut être remplacé par une cuillère à café)
  • un fouet chasen, fouet en bambou spécifique à la préparation du thé matcha, ou un petit fouet de cuisine.

Ingrédients

pour un thé léger usucha

  • 2 cuillères chashaku (env. 1 c.c) de poudre de thé matcha
  • 160 ml d’eau à 80 C°
  • un wagashi de saison (pâtisserie traditionnelle japonaise) ou un morceau de takuan (pâte de haricot rouge sucré en barre) facile à trouver dans les magasins d’alimentation japonaise. Peut être remplacé par une petite pâtisserie occidentale.

Préparation du thé

  1. Faire chauffer l’eau jusqu’à frémissement (ne pas faire bouillir l’eau).
  2. Verser 2 cuillères chashaku de poudre de thé dans le bol.
  3. Verser environ 160 ml d’eau frémissante sur le thé et fouetter délicatement avec le chasen (ou le fouet de cuisine).
  4. Manger la pâtisserie japonaise AVANT de boire le thé. La douceur du wagashi va contrebalancer l’amertume du matcha et sublimer ton expérience.

Enjoy!

(c) Le Japon avec Andrea, 2023.