Pour vivre le Japon au quotidien (anciennement Des Expos en Folie)
Auteur/autrice : andrea
Diplômée en Histoire de l'Art, Muséologie et Etudes Japonaises à l'Université de Genève.
Amatrice d'art en général et d'art japonais en particulier, mon projet est de tenter la réunion de ces deux cultures, de ces deux passions!
Bon, ok , c’est toujours pas une roue, mais l’essentiel est là!
Tu es en panne d’inspiration?
Tu n’arrives pas à choisir un kigo ?
Tu veux un peu de fun dans ta vie ?
Bam, voilà une petite joie à ajouter à ta liste aujourd’hui!
Mode d’emploi
Fais une capture d’écran (ou une photo avec ton téléphone si tu ne sais pas ce qu’est une capture d’écran…) de ma petite animation ci-dessous pour découvrir le kigo à utiliser aujourd’hui !
L’idée te plait?
Découvre ma boite à outils spécial écriture de haiku!
Le principe?
Des jeux, des défis, des explications et des exercices concrets pour réellement comprendre et intégrer les notions recherchées dans tout bon haiku qui se respecte (dixit Bashô) :
des kigo efficaces
les mots de césures
la recherche de la simplicité
la maîtrise de la suggestion (au détriment de la description)
la légèreté
l’humour
la confrontation de l’immuable et de l’éphémère
etc.
Une fois que tu t’es procuré la boite à outils, tu y auras accès indéfiniment ainsi qu’à toutes les mises à jours (et nouveautés).
Quel âge avait-il à l’époque? Quand sa mère lui avait montré une photo de l’île où s’était installé, seul, ce Sôichi Hashida dont elle lui parlait tant. Elle lui avait expliqué qu’il allait consacré sa vie à confectionner du fromage sur cette terre perdue au milieu de l’océan.
Même aux oreilles de l’enfant qu’était Ryôsuke, la voix de sa mère avait pris une intonation particulière.
Ce à quoi avait échoué son époux, cet ami intime s’y réessayait, loin d’ici. Lorsqu’elle l’avait expliqué à son fils, c’était la femme en elle qui parlait.
Sôichi, il garde toujours espoir.*
…
Un récit tout en délicatesse abordant des sujets forts comme le mal-être, la difficulté de trouver sa place dans une société où la quête du succès l’emporte sur tout le reste et les sacrifices qui jonchent le chemin menant à la réalisation de nos rêves. La description des paysages insulaires changeants et les caractères attachants des protagonistes font de ce livre un incontournable de mes lectures d’été.
Au plaisir de lire tes commentaires!
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*SUKEGAWA Durian, Le Rêve de Ryôsuke, éd. Le livre de poche, 2018, p.95.
Chaque année, le 7 juillet, les Japonais fêtent Tanabata 七夕, une des cinq fêtes saisonnières importées de Chine (sekku 節句).
Si c’est l’occasion d’écrire ses vœux sur des bandelettes en papier (tanzaku 短冊) qu’on accrochera ensuite à une branche de bambou, c’est aussi l’occasion de regarder les étoiles!
En effet, la légende de Véga et Altaïr est indissociable de cette fête estivale. Parvenue au Japon probablement dès l’époque Heian (794-1185), cette légende venue de Chine est largement popularisée durant l’époque Edo (1603-1868).
De nombreuses étoiles se disent “double” ou “en couple” car elle partagent un même axe de gravité. Ces étoiles ont de tous temps stimulé l’imagination des conteurs et il existe de nombreuses variantes sur le légende des étoiles amoureuses dont voici la trame :
La légende de Tanabata (“la septième nuit”) met en avant l’histoire d’amour entre une déesse tisserande Orihime (Véga) et un bouvier humain Hikoboshi (Altaïr).
Pour lui, celle qui tisse “les habits de nuages” quitte le monde céleste, l’épouse et lui donne deux enfants. La mère de la déesse (ou le père selon les versions) la retrouve et la fait revenir dans le monde des dieux. Pour empêcher le bouvier bien décidé à retrouver sa femme d’arriver au royaume céleste, les dieux séparent les deux mondes par une rivière infranchissable, la Voie lactée.
Devant les pleurs incessant de la déesse d’un côté, du bouvier et de ses enfants de l’autre, les dieux leur accordent de se retrouver une fois par an, la septième nuit du septième mois.
Dès lors, chaque année, les Japonais fêtent ces retrouvailles amoureuses et accrochent leur vœux d’amour et de bonheur à des branches de bambou, symbole de bon augure et , selon la croyance populaire chinoise, capable de refouler les esprits malveillants responsables des séparations conjugales.
Alors, est-ce que tu vas fêter Tanabata cette année?!
Image d’en-tête : Ando Hitoshige, La ville florissante, festival de Tanabata, in “Cent vues d’Edo”, estampe ukiyo-e, 1857, détail.
Pour ce nouvel “haiku décortiqué”, je t’invite à découvrir un haiku d’été de Matsuo Bashô (1644-1694).
Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:
la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.
L’analyse en image:
La métrique 5-7-5
Si ici le poème entier fait bien 17 syllabes, la métrique 5-7-5 est un peu bousculée en français… (en japonais elle est bien présente).”Le chant des cigales” est une ligne en 5+ (5 syllabes + 1 e muet) et la troisième ligne est de 4 syllabes.
Étant une traduction et non un de mes poèmes, j’ai choisi de privilégier le sens japonais et de ne pas ajouter un adjectif qui compléterait la métrique. Pourquoi? Parce que Bashô n’a pas préciser la nature de son silence. Est-ce que c’est un silence doux? profond? salvateur? étonnant? Mystère. En traduction, choisir d’ajouter un adjectif ou un mot risque de donner une autre intension au poème que celle initialement voulue par Bashô. Risque que je n’ai pas voulu prendre!
En japonais, une des raisons pour lesquelles la métrique 5-7-5 est tellement utilisée en littérature, est qu’elle est naturellement présente dans la langue japonaise. Des expressions et locutions courantes utilisent cette métrique et comme on le voit bien ici, shi-zu-ka-ya, pas besoin de fioriture.
En français bien sûr, c’est un peu différent. Donc si pour combler le nombre de syllabes tu choisis de mettre un adjectif, voici quelques questions à te poser :
Qu’est-ce que ce mot va apporter à ton poème ?
Est-ce que tu as déjà mis 3 autres adjectifs ?
Est-ce qu’il y a répétition ?
Est-ce que cet adjectif supporte le sens général de ton poème ou est-ce qu’il amène de la confusion ?
Est-il vraiment utile au niveau du sens ?
Comment faire pour le rendre utile ?
Un kigo
Ici le chant des cigale, élément incontournable des étés à la campagne. Il s’agit d’un kigo très efficace car si tu as déjà passé un été dans le sud ou près des champs, tu sais ce qu’il implique: chaleur, soleil, silence lourd de la sieste, bruit de fond incessant, etc. Pour chaque lecteur, l’effet sera différent. Ce qui est certain, c’est qu’une panoplie de sensations et d’émotions vont surgir du fond de chaque mémoire pour rendre ce kigo tangible et donner une dimension sonore et vivante à ce poème.
Un mot de césure
Ici le mot de césure en japonais est ya, qui donne une nuance de surprise, d’étonnement et d’admiration. Si kana marque plutôt l’emphase, ya marque la surprise suivie de l’admiration face à l’élément qui le précède, ici le calme, la tranquillité, le silence (shizukasa).
Attention, il y a autant d’interprétation que de lecteur! Par exemple, est-ce que chant des cigales est tellement présent qu’on finit par ne plus l’entendre? est-ce que le chant des cigales fait partie intégrante du “tableau” de l’été et confère à ce temps estival son rythme calme? est-ce qu’au contraire, parce que l’auteur est dans la montagne le chant des cigales est littéralement absorbé par la roche? Tout est possible.
Alors ?
Et toi, quelle est ton interprétation?
Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi.
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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.
La division de l’année en 24 saisons est relativement répandue auprès du grand public. A la télévision, les bulletins météo y font régulièrement allusion et certaines marques n’hésitent pas à en faire un argument marketing.
Les 72 micro-saisons, en revanche, ne sont connues que par les personnes qui s’intéressent de près à l’ancien calendrier. C’est notamment le cas des haïkistes qu choisissent avec précaution les expressions saisonnières (kigo 季語) pour leurs poèmes.*
Shôman (小満) : La petite abondance, à partir du 21 mai
La vie sous toutes ses formes commence à foisonner : la végétation devient luxuriante, les insectes volettent dans les airs, les fleurs s’épanouissent, les fruits mûrissent… Toute la création est parcourue d’une énergie de croissance et de vitalité. […] **
…
Si tu aimes écrire des haiku ou en lire ou simplement suivre les changements de saison dans leur microcosme, ce livre est fait pour toi ! Simple, clair, avec des explications fouillées et de magnifiques illustrations, ce livre est à feuilleter au fil des saisons ou à étudier consciencieusement. Entre fêtes traditionnelles, coutumes populaires et activités humaines, prépare-toi à un véritable voyage au Japon sans bouger de ton canapé.
Si Utamaro (vers 1753-1806)est principalement connu pour ces estampes de courtisanes (美人絵, bijin-e), ici j’ai choisi de te présenter une planche de son album “Insectes choisis” (絵本虫選, Ehon mushi erami) publié en 1788. Album appartenant à une trilogie un peu à part dans l’œuvre d’Utamaro, mettant à l’honneur les insectes, les coquillages et les oiseaux.1
Cet album est composé de planches représentant une plante ou autres végétaux et une ou plusieurs variétés d’insectes. C’est un bel exemple de gravure dans un style réaliste et détaillé, réalisées d’après une observation minutieuse de la nature et non plus d’après les modèles iconographiques classiques.2
L’ensemble est complété pour une série de poèmes parodique dits kyôka (狂歌) « chant sans rime ni raison » ou « poésie folle ». Présentant les mêmes caractéristiques formelles que le poème classique tanka (短歌), il est composé de 31 syllabes (5-7-5/7-7). Sa particularité réside principalement dans le choix des mots et le langage vulgaire utilisé.3 Son caractère collectif (l’écriture de kyôka se fait généralement lors de réunion de poètes où chacun compose une partie de l’ensemble) ainsi que son ton burlesque le rapproche d’ailleurs du haikai (ancêtre de la forme du haiku).4
Ce modèle d’association de poèmes et d’illustrations est hérité des concours littéraires thématiques organisés au sein de cercles d’amateurs. Dans cet album en particulier, chaque poème fait référence de façon subtile et raffinée à l’insecte représenté par Utamaro, représentant un défi de taille.5
MARQUET, p.21.
Ibid, p.22.
Ibid, p. 30.
ORIGAS, p. 161.
MARQUET, p. 31.
Un exemple concret : Libellule et papillons
Voici le poème proposé par Marena Toshinari à propos du papillon :
– Chô –
yume no ma wa
chô tomo keshite
suite mimu
koishiki hito no
hana no kuchibiku
…
– le papillon –
le temps d’un rêve
se muer en papillon
pour butiner
comme une fleur les lèvres
de celle dont je languis1
Ici, la délicatesse du dessin et la douceur des tons sont sublimées par ces quelques mots badins, ou est-ce l’inverse ? Ne seraient-ce pas ces mots qui par cette subtile association visuelle gagnent en profondeur? Peu importe, le résultat est prenant et on ne s’étonnera pas que ce livre d’images reste un des plus bel exemple du talent de Utamaro.
Si on revient à nos amis les insectes, on remarque que sur cette planche, ils sont clairement mis en valeur par un jeu de composition et d’agencement entre texte calligraphié et éléments naturels. Contrairement à l’exemple tiré du “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde” dans l’article précédent, ici l’insecte ne sublime pas la fleur : il est bel et bien le thème principal !
On a donc un clair changement de perception de la nature et de ses habitants ainsi que dans le façon de les reproduire, passant d’accessoire à significatif. Le large développement des études zoologiques et des techniques scientifiques n’y est pas étranger et les artistes deviennent des vecteurs importants de transmission de ce changement de point de vue au sein d’un public de plus en plus nombreux.
MARQUET, p. 95.
Utamaro (vers 1753-1806) s’est formé auprès de Toriyma Sekien (鳥山石燕), peintre de l’école Kanô (kanô-ha 狩野派). Il adopte son nom Utamaro (歌麿) vers 1781 alors qu’il se met à peindre des images de “belles femmes” (美人絵, bijin-e), après s’être exercé à la peinture d’acteurs de kabuki. Son œuvre (plus de 2600 estampes) est très riche et versatile et nous propose également des portraits en buste ou en pied et des recueils à portée zoologique.1
Bibliographie
MARQUET Christophe (textes et poèmes traduits et présentés par), Kitagawa Utamaro, insectes choisis – Myriades d’oiseaux, éditions Philippe Picquier, Arles, 2012.
ORIGAS Jean-Jacques, Dictionnaire de littérature japonaise, Puf, Paris, 2000.
tsuredzure to mono omohi woreba haru no hi nomeni tatsumono ha kasumi narikeri
Comme je passais mon temps en songeries
ce qui se présenta à mes yeux en cette journée
de printemps fut la brume *
.
螢火は木の下草も暗からず五月の闇は名のみなりけり
keika ha ki no shitakusa mo kurakarazu gogatsu no yami ha na no minarikeri
Sous les feux des lucioles,
les sous-bois ne sont pas sombres
Les ténèbres de mai ne le sont que de nom. *
.
朝風にけふおどるきて數ふれば一夜のほどに秋は来にけり
asakaze ni kefu odorukite sufureba ichiya no hodoni aki ha kinikeri
Surprise aujourd’hui par le vent du matin
je compte les jours
En une nuit, l’automne est arrivé *
.
寝る人をおこすともなき埋み火を見つつはかなく明かす夜な夜な
neru hito wo okosu tomonaki uzumibi wo mitsutsu hakanaku akasu yonayona
Ces nuits et ces nuits
à attendre tristement l’aube
en regardant le feu enfoui sous la braise
sans réveiller celui qui dort *
…
Est-ce que tu connais la forme du tanka? Il s’agit de la forme poétique japonaise classique et est composé de 31 syllabes (5-7-5 / 7-7). Et oui, le 5-7-5 que l’on appelle hokku va amener à la forme du haikai (époque Edo 1603-1868) d’abord puis du haiku (ère Meiji 1868-1912) ensuite.
Dans ces tanka d’Izumi Shikibu, poétesse de cour à l’époque Heian (794-1185) on ressent une atmosphère teintée de nostalgie, d’attente, mais aussi une sourde tristesse qui nous entraînent dans un tourbillon d’émotions bien loin des jeux cocasses d’Issa ou du réalisme de Bashô.
Ici chaque expression fait référence à des images codées et définies à travers le temps et le langue poétique pour arriver à l’essence des sentiments humains dans leur subtil écho à la nature. Bonne découverte!
Au plaisir de lire tes commentaires!
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*YOSANO Fumi (traduit et présenté par), “Izumi Shikibu, poèmes de cour”, édition Orphée / La Différence, 1991.
Si dans le dernier article, je me suis concentrée sur le motif du papillon et de la pivoine, aujourd’hui j’ai envie de te partager l’influence primordiale que l’Occident et surtout ses outils optiques ont eue sur la représentation des insectes dans l’art japonais.
Les insectes comme genre artistique
Hérités de la peinture chinoise, les différents genres en peinture japonaise sont divisés selon les thèmes représentés: les peintures “de fleurs et d’oiseaux” (花鳥絵, kachô-e), les peintures de paysages ou “de montagne et d’eau” (山水画, sansui-e), les peintures “de fleurs et d’arbres” (花木絵, hanaki-e) ou encore, celle qui nous intéresse, les peintures “d’herbes et d’insectes” (葉虫絵, hamushi-e).
La source principale d’inspiration de motifs pour cette catégorie reste, jusqu’au développement des “études hollandaises” que nous aborderons plus loin, le fameux “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde“. Rédigé comme un manuel à l’usage des peintres, il s’agit d’une véritable encyclopédie de peinture chinoise, écrite au début de la dynastie Qing (1644-1912). On y trouve un répertoire de motifs, de techniques de dessin et d’applications des couleurs d’une aide précieuse non seulement si l’on souhaite s’initier à l’art chinois, mais aussi si l’on veut comprendre l’essence des œuvres anciennes.
Dans ce genre artistique, ne nous méprenons pas, les insectes servaient surtout de décoration, d’éléments annexes pour “varier la peinture des fleurs”. Dans l’exemple ci-dessus, si le papillon attire notre regard, ce n’est pas le sujet principal de l’œuvre. Il sert à divertir l’œil et éviter la monotonie de scènes inertes et figées par la succession de copies au fil des siècles.
Plus qu’une observation scientifique des insectes, il s’agit plutôt d’une représentation essentialiste, presque symbolique. Ces insectes ont donc souvent la même forme et sont représentés selon le même angle par de nombreux artistes différents. Il n’y a pas une réelle compréhension ou recherche de l’anatomie d’un point de vue scientifique, mais plutôt comme une appréciation générale de la forme de l’insecte, dans le respect du canon de représentation hérité de la peinture chinoise.
Les peintres japonais vont vraiment s’attacher à représenter au plus près cette esthétique chinoise et cet idéal de représentation philosophique et harmonieuse de la nature.
Cette approche des insectes et de leur représentation connaît un franc succès auprès d’amateurs éclairés qui aiment se perdre dans l’observation, la collection mais aussi reproduction d’une variété incroyable d’insectes.1 Ces images ont souvent été regroupées dans des annales ou encyclopédies illustrées à caractère plus ou moins “scientifique” et qui vont servir de base pour la composition de travaux artistiques. Les encyclopédies ou les annales illustrées les plus connues encore aujourd’hui ont été dessinées et compilées par des daimyô (seigneurs guerriers de haut rang).
TSUKAMOTO, p. 278.
Des daimyô amoureux de la nature
Traditionnellement l’observation et le recensement des espèces d’insectes étaient le travail de spécialistes des affaires médicales chinoises au sein du gouvernement japonais. On recensait donc les insectes plus pour leurs vertus curatives et pour leur utilisation dans le quotidien que pour leur vraie beauté intrinsèque. Cette pratique a un lien étroit avec le modèle de la médecine chinoise, mais petit à petit les seigneurs y prennent goût et l’observation et la collecte d’insecte vont devenir une réelle occupation de loisir.1 Rappelons également qu’à l’époque Edo le rôle des guerriers évolue. Les guerres de clans n’étant plus qu’un lointain souvenir, les guerriers trouvent de nouvelles occupations dans l’enseignement, la poésie, les arts, etc.
Pourquoi les daimyô? On offrait traditionnellement des insectes à la maison du shogun (chef des armées, dirigeant militaire officiel du Japon à l’époque Edo) pour nourrir les faucons. Le faucon est l’emblème par excellence de la figure guerrière et offrir de quoi nourrir ces rapaces était un devoir important. Dès 1770 le ramassage d’insectes s’intensifie donc et on commence à recenser de nombreuses espèces jusque là peu étudiées.
Le daimyô le plus célèbre parmi ces amateurs de haut rang reste Masuyama Sessai (1754-1819). Son encyclopédie est encore remarquée aujourd’hui, mais il est surtout connu pour avoir fait édifier après sa mort un mausolée afin d’honorer l’âme des insectes sacrifiés lors de ses observations minutieuses. On peut encore le visiter au sein du temple Kan.ei-ji à Tokyo.2
TSUKAMOTO, p. 278.
MARQUET, p. 23.
Le microscope, ce révolutionnaire
Cette approche du monde des insectes va radicalement changer à l’époque Edo, avec l’arrivée des bateaux occidentaux chargés d’objets variés, de livres et de matériel scientifique comme le microscope en vue de commercer avec le Japon. Rappelons ici que le Japon a fermé ses frontières et son commerce aux Occidentaux (avec une exception pour les bateaux néerlandais) dès 1640 et ne les rouvrira qu’en 1853, un peu avant l’avènement de l’ère Meiji. Le commerce privilégié entre la Hollande et le Japon va donner lieu aux “études hollandaises” ou rangaku.1
Il est particulièrement intéressant de réaliser que le Japon n’a de contact avec l’Occident qu’à travers la Hollande pendant plus d’un siècle. Les Japonais vont donc apprendre le néerlandais pour traduire les livres et communiquer avec les marins, fait assez exotique car après l’ouverture des frontières à la fin de l’époque Edo ils réalisent qu’en Occident personne ne parle néerlandais à part les Hollandais!
Ce goût pour l’exotisme occidental se traduit par le commerce de petits objets, de verrerie, de livres, de peignes, etc.2 Ce sont surtout les instruments de mesure et de vision comme la loupe, les lunettes ou encore le microscope ainsi que les traités illustrés de zoologie et de botanique qui vont fasciner les Japonais.3 Grâce à ses nouveaux outils optiques les observations d’insectes, qu’elles soient scientifiques ou artistiques, vont se développer de manière phénoménale et l’impact de cette nouvelle façon de voir le monde sur un public avide de nouveautés et d’exotisme venus de cet étranger interdit est important.4 Les artistes sont les premiers concernés par cette nouvelle approche et cette nouvelle représentation de la nature.5
SCREECH, p.6.
Ibid, p.8.
MARQUET, p.23.
SCREECH, p.194.
IMAHASHI, p. 146.
Le microscope ainsi que tous les outils optiques (les lunettes, la loupe, la longue vue, etc.) vont ouvrir des perspectives qui vont permettre une observation beaucoup plus minutieuse et plus scientifique de chaque insecte.
Petite anecdote révélatrice, la loupe en japonais se dit 虫眼鏡 (mushi megane) soit “lunettes/verre à insectes”.
Dans mon prochain article, je te présenterais une œuvre de Utamaro tirée de son album “Insectes choisis” (絵本虫選, Ehon mushi erami) publié en 1788. De quoi parler fleurs, de papillons et poésie burlesque en prenant le café.
Bibliographie
IMAHASHI Riko, Edo no dôbutsuga – kinsei bijutsu to bunka no kôkogaku 江戸の動物画、近世美術と文化の考古学 (“Les images d’animaux à l’époque d’Edo – archéologie de l’art et de la littérature moderne”), Tôkyô Daigaku Shuppankai 東京大学出版会, Tôkyô, 2004, 344 pp.
MARQUET Christophe (textes et poèmes traduits et présentés par), Kitagawa Utamaro, insectes choisis – Myriades d’oiseaux, éditions Philippe Picquier, Arles, 2012.
SCREECH Timon, The Lens Within the Heart: The Western Scientific Gaze and Popular Imagery in Later Edo Japan, University of Hawaii Press, 2002.
TSUKAMOTO Manabu, Edo jidai jin to dôbutsu 江戸時代人と動物 (“Les Hommes d’Edo et les animaux”), Nihon edita sukuru shuppanbu 日本エデイタースクール出版部, Tôkyô, 1995, 328 pp.
“Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde” (version numérique) : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/petrucci_moutarde.pdf [consulté le 13.04.2023]
Pour continuer sur le thème des papillons, voici un magnifique haiku de Chiyo.ni, une des poétesses les plus célèbre de l’époque Edo.
Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:
la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.
L’analyse en image :
La métrique 5-7-5
Dans la traduction, j’ai choisi de laissé la ligne 1 un simple, c’est-à-dire sans chercher à combler la syllabe manquante. J’aurais pu mettre “de ces papillons” par exemple, mais cela aurait changé radicalement le sens du poème et la scène suggérée au lecteur. Ici l’accent est mis sur la ligne 3 (avec la césure). Ce que Chiyo.ni nous invite à regarder ces sont les fleurs des champs qui lui rappelle les rêves des papillons. “Ces papillons” donnerait à penser qu’elle voit les papillons, l’effet serait plus centré sur les papillons, ce qui n’est pas le choix de l’auteur.
Quand on a 17 syllabes pour charmer son lecteur, chaque mot a une importance cruciale. Ici il s’agit d’une traduction donc le travail est un peu différent, mais quand tu écris un poème essaye vraiment de trouver les mots justes. Si tu veux rajouter un adjectif pour combler le nombre syllabes par exemple, demande-toi toujours qu’est-ce que ce mot apporte? qu’est-ce que cet adjectif va provoquer comme images chez ton lecteur? est-ce qu’il vient renforcer l’émotion principale de ton poème ou est-ce qu’il va juste détourner l’attention de ton lecteur?
Au printemps, les premiers papillons naissent de leur chrysalide, et sont encore visibles tout l’été et une partie de l’automne. Si les papillons ressemblent aux fleurs, c’est certainement parce que le seul but de leur vie est de butiner, librement. Quand on ne précise pas la saison, il suffit de dire “papillon” pour évoquer le printemps.
Les fleurs des champs ici viennent rehausser le kigo par un jeu d’échos. Les papillons légers et colorés du printemps et les fleurs colorées parsemant les champs, tous vouées à une fin précoce, symboles de l’éphémère.
Un mot de césure (kireji)
Il vaut mieux penser mot de césure que “la césure” car ce terme peut prêter à confusion avec son utilisation en littéraire française. Dans le haiku, le mot de césure sert à donner de l’émotion, sert à faire réagir le lecteur et l’invite à faire des liens avec sa propre expérience.
Ici le mot de césure est kana*. Il suggère l’admiration et invite le lecteur à savourer le(s) mot(s)que le précède(nt). Dans ce poème, tu es donc invité.e à “vivre” le champs de fleurs, à voir les coquelicots et les bleuets, à sentir les doux parfums venir à toi au gré du vent, etc. Cette profondeur émotionnelle est sublimée par la légère surprise du lien fait entre les papillons et les fleurs tout comme la vague d’émotion provoquée par ce spectacle des champs colorés.
*En japonais moderne, kana marque l’incertitude, ce n’est pas le cas en japonais classique.
Alors ?
Qu’est-ce que tu en dis ? Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi.
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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.
Les insectes font l’objet d’une catégorie spéciale dans l’art chinois et japonais, celle des kusamushi-e (草虫絵) ou “Herbes et insectes”.
Depuis aussi loin qu’on se souvienne, les insectes ont sans cesse été observés, recensés, collectionnés puis peints ou gravés. Tout comme dans la catégorie des kachô-e (花鳥絵) “Fleurs et oiseaux”, où chaque espèces d’oiseaux est associée à une fleurs, ici, chaque insecte est associé à une herbe ou plante.
Comme le printemps s’en vient, aujourd’hui je te parle de papillon.
papillon chô 蝶
Le papillon est souvent associé à la pivoine, car tous deux représentent la longévité :
La pivoine pour son nom chinois meoutan qui comporte le mot tan (cinabre), drogue d’immortalité qui l’associe au phénix1. Le papillon pour le jeu de mot avec le terme “septuagénaire”, tout deux se disant t’ie.2 Par association, ces deux motifs ensemble sont devenu le symbole porte-bonheur de longévité.
Au Japon, la papillon est aussi un esprit voyageur qui peut annoncer une visite ou la mort d’un proche. Par extension, la rencontre avec un papillon blanc est perçu dans la croyance populaire comme la visite de l’âme d’un défunt.
Les représentations du thème des “herbes et insectes” sont ainsi des images véhiculant des messages symboliques et font le délice des amateurs lettrés qui sauront les déchiffrer.
Dans ce contexte, les estampes nishiki-e (錦絵, litt. “image de brocard”) étaient des supports privilégiés. Ce sont effectivement des œuvres luxueuses destinées à un public de riches amateurs, mettant en avant les prouesses de composition des artistes mais aussi le talent des imprimeurs tout en jouant sur les effets de mode.
CHEVALIER Jean, GHEERBRANT Alain, Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont et éd. Jupiter, Paris, 1982, p.762.
Ibid, p.728.
Ici un magnifique exemple de Hiroshige dans un format vertical. Les pivoines délicatement colorées répondent à un papillon plutôt terne qui permet ainsi de ne pas saturer l’image. La composition simple et efficace de cette estampe ravi le spectateur qui se sent transporté en Chine.
La touche chinoise est encore accentuée par l’inscription en haut à gauche, imprimé dans une police particulière.
牡丹花福貴者也
Botange fukisha nari
“bénédiction de la fleur de pivoine” *
Répondant à la signature en bas à droite, ces deux inscriptions encadrent l’image harmonieusement et créent un jeu visuel délicat.
*traduction non vérifiée… je ne parle pas chinois ( ^-^ ).
Voici un deuxième exemple où on retrouve cette association du papillon et de la pivoine. Il s’agit cette fois d’une œuvre de Katsushika Hokusai.
Ici les pivoines sont plus présentes, comme si Hokusai nous invitait à découvrir son jardin. Le spectateur peut imaginer plonger sa main dans le buisson et sentir le parfum envoutant des pivoines. Chez Hiroshige il s’agissait plus d’une image voulue synthétique, représentative d’un message symbolique. Ici les symboles sont tout aussi présents, mais donne l’illusion d’une plus grande intimité entre image et spectateur.
J’aime bien aussi le traitement du papillon qui nous montre un point de vue particulier puisque l’artiste a choisi de nous montrer les ailes vues de dessus, selon un angle peu évident.
Je termine avec un poème de Bashô :
物好や匂わぬ草にとまる蝶
monozuki ya niowanu kusu ni tomaru chô
.
un papillon se pose
sur une herbe sans odeur
curiosité
.
Dans mon prochain article j’aborderai l’influence occidentale dans la perception et la représentation des insectes dans les œuvres de l’époque Edo.
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Lors de ma boutique popup “Un air de printemps”, les papillons seront aussi à l’honneur. Ne manque pas ces prochaines dates d’ouverture : 17 au 23 avril 2023. Ça se passera dans l’onglet “boutique”.
Je suis bien impatiente de te faire découvrir mes nouveaux motifs printaniers et mes produits spécialisés autour du haiku et du japonais!